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Audrey Bogemans,
l’agriculture au rythme
des affaires

Audrey Bogemans est la cadette de quatre filles d’une famille établie dans le domaine des grandes cultures à Saint-Sébastien, dans la région de la Montérégie. L’entreprise est spécialisée dans la culture de maïs, de soya et de blé, et fait aussi la location d’un centre de grains d’une capacité de 15 000 tonnes.

Dès la fin de ses études secondaires, Audrey Bogemans est pressentie par son père pour prendre la relève de l’entreprise familiale en raison des réflexes d’entrepreneure qu’il observe chez elle.

Sachant bien la somme de travail colossal qu’exige une ferme, la jeune fille ne se voit pas relever un tel défi en solo dans un avenir proche. Elle entamera donc des études collégiales en gestion, puis en marketing, avant de fonder sa propre agence de publicité et de s’engager dans la Chambre de commerce et de l’industrie du Haut-Richelieu.

Le goût d’entreprendre

Quelques années plus tard, c’est son intérêt pour l’entrepreneuriat, et l’équipe qu’elle compte former avec son mari, qui ramène Audrey dans l’entreprise familiale. Chez les Bogemans, la culture entrepreneuriale irrigue tous les membres de la famille qui ne compte aucun garçon parmi les enfants. Audrey Bogemans et ses sœurs travaillent toutes dans le milieu agricole et trois d’entre elles sont à leur compte, dont Audrey qui a pris la relève de la ferme familiale.

La jeune femme, aussi mère de deux enfants, s’est engagée dans un processus de transfert apparenté avec un partenaire d’affaires, son mari, mécanicien de machineries fixes de formation. Ensemble, ils détiennent en parties égales 40 % des parts de l’entreprise léguées par les parents. Au terme du transfert, lorsque ces derniers auront pris leur retraite, le couple aura procédé au rachat de l’entreprise familiale : il est prévu qu’Audrey possède alors 75 % des parts. Les tâches administratives et agricoles ont fait l’objet d’une redistribution entre les propriétaires actuels, selon les intérêts et la volonté de chaque personne.

Audrey a choisi de s’occuper de la mise en marché des grains, du suivi agronomique et de la gestion. Ainsi a-t-elle récupéré une partie des tâches de sa mère (comptabilité) et de son père (agronomie). Le choix de son mari-copropriétaire s’est porté sur les opérations agricoles. Il planifie l’exécution des travaux aux champs, outre qu’il s’assure de l’achat et de l’entretien de la machinerie, des tâches traditionnellement accomplies par le père d’Audrey.

Les secteurs d’activité respectifs du couple sont toutefois valorisés inégalement aux yeux de plusieurs personnes. Les activités agricoles obtiendraient une gratification plus importante. La jeune entrepreneure explique cette situation par le fait que les tâches agricoles sont concrètes, exécutées manuellement ou mécaniquement, et qu’elles ont des répercussions dans les champs qui sont visibles rapidement, alors qu’il en va autrement des aspects liés à la gestion.

L’agriculture à travers la lorgnette des affaires

« Elle souhaite contribuer à sa mesure à inspirer les femmes à se lancer en agriculture :
On est capables. »

Audrey entrevoit l’avenir de son entreprise, et de l’agriculture en général, à travers la lorgnette des affaires. Convaincue du lien étroit et interdépendant entre les deux univers, elle crée, dès son retour dans le milieu agricole, le comité agroalimentaire de la Chambre de commerce et de l’industrie du Haut-Richelieu afin de favoriser la reconnaissance de l’agriculture comme clé essentielle au développement des affaires de la région et du territoire.

Aujourd’hui, la passionnée d’agriculture et d’entrepreneuriat occupe le poste de présidente de la Chambre de commerce. Si Audrey reconnaît s’engager personnellement pour obtenir de la visibilité, tant pour elle-même que pour son entreprise, son action n’en est pas moins politique. Elle souhaite contribuer à sa mesure à inspirer les femmes à se lancer en agriculture : « On est capables. ».

Le carcan des rôles traditionnels

Les obstacles auxquels se heurte Audrey depuis son établissement ont trait principalement aux rôles attendus des femmes et des hommes, particulièrement dans le milieu agricole. La résistance se manifeste notamment par la difficulté à être prise au sérieux et par l’exigence d’une validation masculine. C’est le cas, par exemple, lorsqu’un vendeur de tracteurs ou un agronome se moque des questions soulevées par Audrey ou exprime le désir de la rencontrer en compagnie de son père.

D’après l’expérience de la jeune entrepreneure, il est fréquent que des acteurs externes essaient de réunir des hommes au moment d’une prise de décision : « C’est pas une question d’âge, c’est une question de sexe, clairement. » Son mari-copropriétaire, à peu près du même âge qu’elle, ne ferait pas l’expérience de telles situations.

Il semble que la conciliation de plusieurs rôles soit l’objet d’une certaine désapprobation. Être une « bonne mère » apparaît encore difficilement compatible avec le fait d’être chef d’exploitation et présidente d’une chambre de commerce. La jeune agricultrice est souvent ramenée à ce volet de son identité lié à la maternité et à l’éducation des enfants : « C’est comme un rôle traditionnel que les gens perçoivent : que la femme, il faut qu’elle reste à la maison pour faire la comptabilité et gérer les enfants. »

L’enjeu de la conciliation agriculture-famille

La voie que suit Audrey la rend heureuse et comble toutes ses aspirations. Cependant, ce choix vient avec le poids de l’ensemble des tâches familiales et domestiques. À certaines périodes de l’année, ces tâches sont accomplies davantage en équipe, avec son mari.

Néanmoins, c’est elle qui en assure la planification et l’organisation en tout temps. Une répartition qu’elle explique par le fait que son temps professionnel peut être davantage modulé que celui de son mari. Les opérations agricoles attendraient difficilement, alors que les tâches administratives sont perçues comme reportables à d’autres moments et dans des lieux divers.

Coup d’œil sur le secteur des grandes cultures

Le secteur des grandes cultures regroupe au Québec 4 506 exploitations agricoles sur un total de 28 919. En 2016, les grains les plus cultivés ont été le maïs, le soya et l’avoine. Selon le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ), près de 90 % de la production des grains au Québec est destinée à l’alimentation animale. La production des grandes cultures représente le choix de 14 % de la relève agricole établie au Québec en 2016. La proportion de femmes et d’hommes de la relève agricole qui choisissent ce secteur se chiffre à 10 % chez les premières et à 16 % chez les seconds.

Proportion de la relève
dans ce secteur

10 %

Proportion de la relève
dans ce secteur

16 %