Avis - Pour un partage équitable du congé parental

Ce document est la version HTML accessible de l'avis Pour un partage équitable du congé parental, disponible en format PDF sur le site Web du Conseil du statut de la femme.

Table des matières

Glossaire

BDSO
Banque de données des statistiques officielles sur le Québec
CGAP
Conseil de gestion de l'assurance parentale
CLSC
Centre local de services communautaires
CSF
Conseil du statut de la femme
CTF
Conciliation travail-famille
ESG
Enquête sociale générale
INSPQ
Institut national de santé publique du Québec
ISQ
Institut de la statistique du Québec
RQAP
Régime québécois d'assurance parentale
SCF
Secrétariat à  la condition féminine
Congé de maternité
Congé réservé aux mères, d'une durée de 15 à  18 semaines, pris durant la première année de vie de l'enfant.
Congé de paternité
Congé réservé aux pères, d'une durée de 3 à  5 semaines, pris durant la première année de vie de l'enfant.
Congé parental
Congé partageable entre les parents, d'une durée de 25 à  32 semaines, pris durant la première année de vie de l'enfant, qui s'ajoute aux congés de maternité et de paternité.
Régime de base
Dans le cadre du RQAP, le régime de base prévoit 18 semaines de congé de maternité, 5 semaines de congé de paternité et 32 semaines de congé parental au taux variable de remplacement durevenu se situant entre 55 % et 70 %.
Régime particulier
Dans le cadre du RQAP, le régime particulier prévoit 15 semaines de congé de maternité, 3 semaines de congé de paternité et 25 semaines de congé parental au taux de remplacement du revenu constant de 75 %.
Taux de remplacement du revenu
Pourcentage du salaire versé aux prestataires du RQAP durant leur congé.

Introduction

Le Conseil du statut de la femme (CSF) a de tout temps considéré les congés parentaux comme une pièce maîtresse de la réduction des inégalités entre les sexes. En effet, ils permettent aux mères de jeunes enfants de conserver leur lien d'emploi et une portion de leurs revenus malgré un retrait temporaire pour s'occuper des nourrissons. Alors qu'au milieu des années 1970, près des deux tiers des mères âgées de 20 à 44 ans demeuraient à  temps plein dans l'espace domestique, 79,7 % des mères de 20 à  54 ans dont le plus jeune enfant a moins de 6 ans sont aujourd'hui en emploi (Descarries et Corbeil 2002, p. 456; Statistique Canada cité par la BDSO, page consultée le 17 mars 2015).

Dès 1975, le Conseil demande l'établissement d'un congé de maternité avec la garantie de retour en emploi. Il recommande, en 1977 et en 1979, l'instauration d'un congé de maternité de 18 semaines rémunérées par l'État durant lequel la mère continuerait à  cumuler les avantages sociaux reliés à  son emploi. Il suggère aussi de mettre en place un congé parental de 34 semaines partageables entre les parents, ce qu'il réitère en 1984 et en 1985. En 1985, il souhaite que soit instauré un congé de paternité de cinq jours à  la suite de la naissance d'un enfant (CSF2013, p. 153-156).

Progressivement, les gouvernements provincial et fédéral ont adopté des mesures de soutien à  la parentalité, autant pour répondre aux revendications du mouvement des femmes, que pour soutenir la natalité.

Une véritable révolution intervient au Québec à la fin des années 1990. D'abord adopté en 1997, le Régime québécois d'assurance parentale (RQAP) entre en vigueur neuf ans plus tard, en 2006. Il offre des congés parentaux plus généreux, jusqu'à  75 % du salaire, s'approchant du modèle scandinave. Selon le régime choisi, les Québécoises ont droit à  un congé de maternité réservé de 15 à  18 semaines alors que les pères disposent d'un congé de paternité exclusif de 3 à  5 semaines, ce qui constitue une première historique en Amérique du Nord. Jusqu'à  l'instauration du RQAP, les mères devaient compter sur l'assurance chômage pour prendre un congé de maternité et aucun congé rémunéré n'était réservé aux pères. En plus des congés réservés à  chacun des parents, ceux-ci ont maintenant la possibilité de partager un congé parental payé dont la durée peut varier entre 25 et 32 semaines.

Les parents québécois ont adhéré au régime en bien plus grand nombre que prévu. Près de 80 % des pères québécois prennent un congé de paternité alors qu'ils n'étaient que 30 % à  le faire en 2005 (Statistique Canada, page consultée le 17 mars 2015b). À titre de comparaison, 90 % des mères ont recours au congé de maternité et, parmi elles, 98 % prennent aussi un congé parental (CGAP 2012, p. 27; CGAP 2014b, p, 25). Le régime a permis de verser 1,87 milliard de dollars à  plus de 129 000 prestataires en 2013, soit un peu plus de 69 000 femmes et près de 60 000 hommes. Depuis 2006, plus de 13 milliards de dollars ont été versés en prestations (CGAP 2014a).

Le défi actuel n'est plus tant de convaincre les nouveaux pères de prendre les semaines de congé qui leur sont réservées que de parvenir à  un partage plus équitable du congé parental de 6 à  8 mois entre les mères et les pères. En effet, en dehors du congé qui leur est exclusivement réservé, une minorité de pères en prennent davantage : 70 % des nouveaux pères ne se prévalent toujours pas du congé parental.

98 % des mères prestataires ont aussi utilisé des prestations parentales [en plus du congé de maternité], soit 66 454 mères sur un total de 67 899. Quant aux pères, c'est un sur trois, soit 18 931 pères sur un total de 58 541, qui ont aussi pris des semaines de prestations parentales en plus des semaines de paternité. Ces pères ont utilisé en moyenne 13 semaines parentales (CGAP 2013a, p. 23).

En 1995, soit deux ans avant que le projet du RQAP soit adopté, le Conseil affirmait que le congé parental permet à  « des hommes de s'éloigner de leur rôle traditionnel de pourvoyeur et de développer un lien privilégié précoce avec leur enfant » (CSF1995, p. 13), tout en favorisant le retour en emploi des femmes et en permettant un meilleur partage du travail domestique et familial. Selon des études sur l'égalité dans les couples suédois, le partage du congé parental mène à  une plus grande égalité conjugale (Haas et Hwang 2008, p. 88).

Près de dix ans après l'entrée en vigueur du RQAP, le congé de paternité et le congé parental actuels ont-ils vraiment ces effets ? Favorisent-ils effectivement le développement d'un lien privilégié avec l'enfant si, par exemple, le père ne passe pas de temps seul avec lui et s'il se considère d'abord comme venant en appui à  la mère, encore définie comme le principal parent ? Favorisent-ils un plus grand partage du travail domestique et parental, ou même un renversement des rôles de sexe traditionnels ?

Le présent avis est divisé en cinq parties. La première situe la question du partage des congés parentaux dans un cadre plus large, ce qui nous permet de mieux saisir en quoi ceux-ci constituent une pièce maîtresse de la diminution des inégalités de sexe. Puis, nous décrivons les différentes réponses et modèles existants pour soutenir la parentalité dans le monde. Ensuite, nous présentons l'évolution de la situation du partage du travail entre les sexes au Québec pour mieux comprendre ce qui intervient dans le partage actuel des congés parentaux.

Les résultats d'une enquête qualitative menée auprès de parents québécois ayant pris des congés parentaux sont discutés dans la quatrième section. Ces résultats sont révélateurs de la persistance des modèles traditionnels de division du travail entre les sexes, malgré la volonté affirmée des parents d'établir des relations égalitaires. La dernière section présente les recommandations que le Conseil destine à  différentes instances publiques québécoises.

Congés parentaux et inégalités de sexe

L'inégal partage des congés parentaux par les mères et les pères n'est pas seulement le résultat de choix individuels. Au contraire, il est étroitement lié à  la division du travail domestique et familial entre les hommes et les femmes et aux inégalités de sexe.

Nous présenterons les données les plus récentes sur l'inégal partage du travail domestique et familial, lequel ne suscite pas toujours un sentiment d'injustice chez les femmes, en raison des croyances profondément ancrées dans notre culture selon lesquelles celui-ci relève d'abord de la responsabilité des femmes.

Le partage du travail domestique et familial

Les femmes accomplissent encore en moyenne 70 % des tâches domestiques et des soins aux enfants (Laroche 2010). Malgré l'intégration massive des femmes au marché du travail depuis les cinquante dernières années, la charge domestique et familiale qui leur incombe n'a pas été réduite proportionnellement.

La situation s'est légèrement améliorée au cours des dernières décennies et les hommes partagent davantage le travail domestique et familial que dans les générations précédentes. Chez les parents québécois d'au moins un enfant de 4 ans et moins, il est important de noter que même si les hommes ont augmenté le temps qu'ils consacrent aux soins aux enfants, celui accordé aux tâches domestiques n'a que très peu progressé. Parallèlement, les femmes ont diminué le temps alloué spécifiquement aux tâches domestiques, mais ont augmenté celui consacré aux soins aux enfants. Globalement, elles employaient donc plus de temps au travail domestique en 2010 qu'en 1992.

L'écart entre les femmes et les hommes en ce qui concerne le temps de travail domestique a légèrement diminué durant la même période, car les hommes se consacrent davantage aux soins aux enfants.

Moyenne quotidienne de temps consacré aux différentes activités par les hommes détenant un emploi à  temps plein et ayant au moins un enfant de 4 ans et moins au Québec (en heures par jour)
Activités 1992 2005 2010
Temps productif total (professionnel et domestique) 9,1 10,9 10,5
Professionnel 5,9 7,6 6,2
Domestique 3,2 3,3 4,2
Tâches domestiques 3,2 3,3 4,2
Soins aux enfants 2,1 2,1 1,9
Magasiner des produits et services 0,6 0,6 0,6
Personnel 10,4 10,0 10,8
Libre 3,4 3,3 2,5
Moyenne quotidienne de temps consacré aux différentes activités par les femmes détenant un emploi à  temps plein et ayant au moins un enfant de 4 ans et moins au Québec (en heures par jour)
Activités 1992 2005 2010
Temps productif total (professionnel et domestique) 10,2 10,7 10,6
Professionnel 5,1 5,9 5,1
Domestique 5,1 4,8 5,4
Tâches domestiques 2,4 2,1 1,9
Soins aux enfants 2,1 2,1 2,9
Magasiner des produits et services 0,6 0,6 0,6
Personnel 10,4 10,0 10,8
Libre 3,4 3,3 2,5

Source : ISQ, page consultée le 17 mars 2015.

Les données québécoises sur l'emploi du temps proviennent de deux sources canadiennes, soit l'Enquête sociale générale (ESG) et le Recensement du Canada. Dans les deux cas, il s'agit des perceptions que les personnes ont du temps alloué aux diverses tâches domestiques et familiales, au travail professionnel et au temps libre. Ces données ne permettent donc pas de dire si ces évaluations sont justes ou si elles sont biaisées, notamment parce qu'un des deux sexes aurait surévalué ou sous-évalué certaines formes de travaux. De plus, ces deux sources de données présentent les résultats obtenus à  travers de larges catégories rendant l'interprétation imprécise : par exemple, une personne déclarant consacrer 5 heures au travail professionnel se retrouve classée dans la même catégorie qu'une personne en déclarant 141.

Les plus récentes données colligées par l'ISQ (Lacroix 2013, p. 1-5) révèlent globalement que, pour l'année de référence 2010 :

Ces enquêtes ne montrent toutefois pas que le type de tâches effectuées par les femmes et les hommes n'est pas le même :

Les femmes sont généralement responsables des tâches quotidiennes et routinières, telles que la préparation des repas, le lavage, le ménage et le rangement, alors que les hommes s'occupent de travaux plus occasionnels, aux « horaires » plus flexibles, comme pelleter la neige, tondre la pelouse ou sortir les poubelles (Des Rivières-Pigeon et collab. 2001, p. 7).

En 1983, le Conseil publiait une étude sur le partage du travail domestique qui notait que les activités masculines étaient souvent plus visibles, et que leur implication dans les soins aux enfants se centrait sur les activités à  dimensions publiques (sorties au parc, activités organisées) et les activités de socialisation. Les soins physiques quotidiens et récurrents étaient plus souvent laissés aux femmes (Vandelac 1983, p. 40-41). Les enquêtes budget-temps actuelles ne nous permettent pas de savoir si cette répartition des tâches existe toujours.

La charge mentale

Ces enquêtes ne mesurent pas davantage le sentiment de responsabilité par rapport à  ces tâches. Monique Haicault (2000) a travaillé cette question de la « charge mentale » qui échappe aux mesures statistiques du partage du travail. Tahon démontre bien que les femmes

n'additionnent pas les diverses tâches qu'elles effectuent (addition signalée par l'expression « double journée »), mais qu'elles sont amenées à  organiser, à  faire tenir ensemble, à  superposer des charges incompatibles entre elles. L'accent est donc mis moins sur les tâches elles-mêmes que sur le travail mental nécessaire pour pouvoir les réaliser dans l'espace-temps (« charge mentale ») (Tahon 2003, p. 40-41).

Des données analysées par Diane-Gabrielle Tremblay (2003, p. 85-86) montrent bien l'inégale interpénétration des espaces familiaux et professionnels chez les deux sexes. Questionnés sur les raisons d'utiliser les mesures d'aménagement du temps de travail, les femmes et les hommes n'invoquent pas les mêmes. Alors que les femmes répondent, dans l'ordre, employer ces aménagements pour « des soins aux enfants, lors de la maladie de l'employé [et] lors de la maladie d'un membre de la famille », les hommes ont quant à  eux eu recours aux aménagements, dans l'ordre, « lors de la maladie de l'employé, pour des activités sociales [et] et lors de la maladie d'un membre de la famille » (Tremblay 2003, p. 86). Les femmes mentionnent ainsi deux motifs sur trois concernant le soutien à  autrui alors que les hommes n'en nomment qu'un seul, et ce, seulement en troisième position. Elle ajoute,

les hommes reconnaissent prendre des congés pour des activités sociales et des objectifs de long terme (formation, sports, etc.), alors que les femmes prennent des congés pour faire face aux difficultés de court terme au sein du ménage, des congés qui profitent davantage aux autres qu'à  elles-mêmes [...] (Tremblay 2003, p. 86).

Les données de 2011 de Statistique Canada confirment que les femmes doivent s'absenter du travail plus souvent que les hommes pour des raisons familiales : « les hommes ont perdu moins de jours que les femmes, soit 7,7 (6,4 en raison d'une maladie ou d'une incapacité et 1,4 en raison d'obligations personnelles ou familiales), contre 11,4 (9,4 et 2,0) » (Dabboussy et Uppal 2012).

En somme, le partage du travail domestique et parental concerne toujours directement la question des inégalités entre les sexes, la construction du genre, c'est-à -dire de ce que veut dire « féminin » et « masculin », et des attentes différentes auxquelles doivent répondre les hommes et les femmes.

Une inégalité variable et un faible sentiment d'injustice

Le partage du travail domestique varie selon plusieurs facteurs. Des enquêtes américaines échelonnées sur 20 ans (Kroska 2004, p. 901) démontrent que les femmes dont le conjoint a des valeurs égalitaires assument une moins grande proportion du travail domestique, ce qui n'est pas le cas lorsque seule la femme affirme posséder ces valeurs. Toutefois, l'idéologie égalitaire de chacun des conjoints influencerait davantage le partage des tâches dites neutres (par exemple, reconduire les enfants ou payer les factures) que les tâches définies comme ayant une connotation féminine (par exemple, la préparation des repas, le ménage de la maison ou la lessive) ou masculine (par exemple, l'entretien de la voiture ou les travaux extérieurs). Une forte scolarité et un haut salaire chez les hommes seraient associés à  une plus petite contribution aux travaux domestiques. Toutefois, lorsque la scolarité des hommes est plus élevée que celle de leurs conjointes, ils auraient tendance à  faire un peu plus de travail domestique (Kroska 2004, p. 921-923). Au-delà  de la présence de valeurs égalitaires, des niveaux de scolarité et de revenu des conjoints, c'est avant tout le fait d'être un homme ou une femme qui demeure le meilleur prédicateur de la quantité de travail domestique accompli (Kroska 2004, p. 923).

Malgré l'inégal partage du travail domestique et parental, de nombreuses femmes ne ressentiraient pas de sentiment d'injustice à  ce sujet, selon les recherches de Linda Thompson (1991). En effet, alors qu'on pourrait s'attendre à  ce que tout écart à  un partage équitable des tâches conduise, dans des sociétés qui se disent égalitaires, à  un sentiment d'injustice, cela ne semble pas concrètement être le cas, de manière générale.

Diverses explications sont proposées par cette auteure. Les femmes justifient leur implication importante dans l'espace domestique et familial par des motifs affectifs, par le fait qu'elles sont préoccupées par le bien-être des gens qu'elles aiment, par sentiment de « vocation ». L'utilisation par les femmes de registres affectifs pour évaluer et justifier leur travail domestique ferait écran à  la prise de conscience du caractère inégalitaire de la situation. Selon la littérature utilisée par Thompson (1991, p. 183-184), les femmes, comme les hommes, considèrent néanmoins les tâches domestiques comme fatigantes, répétitives, désagréables et solitaires. Ainsi, les femmes voient souvent les tâches domestiques et familiales comme étant moins valorisantes que le travail professionnel.

Une autre raison soulevée par Thompson (1991, p. 187-188) est la croyance que les hommes et les femmes ne peuvent pas être comparés. Les femmes se compareraient d'abord aux autres femmes avant de se comparer aux hommes. Cette base de comparaison instaurerait une certaine compétition tacite entre femmes : laquelle est la mieux organisée, parvient le mieux à  conjuguer travail et famille. Les hommes auraient plutôt tendance à  se comparer à  leur père ou à  leur grand-père; comparaison qui est à  leur avantage, car ils accomplissent en général plus de travail domestique que les hommes des générations précédentes. Un rapport du ministère de la Famille souligne aussi que :

L'inégalité réelle dont rendent compte les données, du moins partiellement, peut ne pas être ressentie comme telle, surtout si l'un des conjoints évalue la situation en termes d'échanges sur d'autres plans (attentions, bénéfices monétaires, plus grande liberté de se retirer ou non du marché du travail, etc.), s'il compare sa situation en la jugeant meilleure ou pire que ce qu'il observe dans son entourage, s'il préfère atténuer son malaise en se repliant derrière des motifs rationnels à  ses yeux, ou derrière une conception qu'il juge légitime à  cet égard (Dallaire 2011, p. 487).

Les stéréotypes et la socialisation différente des filles et des garçons expliquent aussi le faible sentiment d'injustice par rapport à  la sous-implication des hommes à  la maison. Par exemple, l'investissement plus fort des hommes dans le travail rémunéré leur procurerait souvent une sorte de « droit » à  moins s'investir dans le travail domestique. De même, les activités et identités masculines sont plutôt considérées comme incompatibles avec les tâches à  la maison tandis que les femmes sont pour leur part encore perçues comme ayant davantage de « talent » pour ces tâches et ayant davantage de plaisir à  les accomplir (Thompson 1991, p. 192).

La division sexuelle du travail

Le faible partage des congés parentaux entre les hommes et les femmes ne peut donc pas être envisagé uniquement dans une perspective individuelle, psychologique ou identitaire, car il s'inscrit, plus généralement, dans l'histoire de la division du travail entre les sexes. Celle-ci « a pour caractéristique l'assignation prioritaire des hommes à  la sphère productive et des femmes à  la sphère reproductive ainsi que, simultanément, la captation par les hommes des fonctions à  forte valeur ajoutée (politiques, religieuses, militaires, etc.) » (Kergoat 2004, p. 36). Dès la naissance de la science économique et des premières pratiques de recensements, le terme « travail » a été associé exclusivement au travail rémunéré à  l'extérieur de la maison, excluant le travail domestique et parental non rémunéré exécuté par les femmes dorénavant considéré comme non productif (Cohen 2004, p. 242).

Ce n'est qu'à  partir du début des années 1970, que les recherches féministes mettent en évidence la dimension inégalitaire de cette définition du travail et le processus historique à  travers lequel l'espace privé et familial (où se réalise le travail domestique) et l'espace public (où s'exécute le travail professionnel et rémunéré) ont été définis comme complètement opposés l'un à  l'autre (Okin 1994). L'espace privé et la cellule familiale sont alors analysés comme des lieux privilégiés d'appropriation du travail des femmes (Fougeyrollas-Schwebel 2004, p. 250; Guillaumin 1992, p. 32 et suiv.).

Malgré la pénétration de la sphère publique par les femmes, elles demeurent les principales responsables de la sphère privée dévalorisée. Elles subissent le poids de la double tâche, celle associée au travail rémunéré et celle liée aux responsabilités domestiques et parentales (CSF 1995, p. 16).

En effet, malgré l'intégration massive des femmes au marché du travail à  partir des années 1970, les rôles des hommes et des femmes demeurent envisagés sous l'angle de la complémentarité. Compte tenu de la subordination historique du travail domestique par rapport au travail rémunéré, ce sont encore les « premières » responsables du travail domestique - c'est-à -dire les femmes - qui doivent s'adapter aux exigences et temporalités de l'organisation du travail rémunéré. Ainsi, les questions d'articulation entre le travail et la famille sont encore définies comme un « problème » féminin. La charge d'articuler la vie familiale en fonction de leur emploi rémunéré et de trouver un emploi compatible avec leurs responsabilités familiales leur revient le plus souvent.

De plus, les analyses féministes mettent en évidence que le travail invisible et gratuit des femmes est « réalisé non pas pour soi, mais pour d'autres et toujours au nom de la nature, de l'amour ou du devoir maternel » (Kergoat 2004, p. 37). Ce travail domestique et maternel, n'ayant aucune valeur économique, n'est donc pas considéré comme un véritable travail et est ainsi invisibilisé.

L'arrivée massive des femmes sur le marché du travail rémunéré a rendu plus évidente l'opposition entre travail salarié et travail domestique, et le fait que l'inégal partage du travail domestique constituait un obstacle important à  l'égalité des sexes dans le travail rémunéré.

Les deux sphères privée et publique ne doivent pas être considérées isolément [...]. Ainsi l'aspect du partage des tâches domestiques et parentales (l'une des zones importantes de résistance aux changements dans le domaine privé) n'est pas sans incidence sur les trajectoires d'emploi des femmes (CSF 1995, p. 17) (Voir aussi Cohen 2004, p. 244).

Le modèle de l'homme pourvoyeur et de la femme responsable de la sphère domestique n'a pas complètement disparu, malgré une intégration massive du marché du travail par celles-ci (Méda 2008a, p. 13; 2008b, p. 120). La prise en charge des enfants par les femmes et le partage inégal du travail domestique sont les pierres d'assise des inégalités économiques, familiales et professionnelles entre les sexes : les femmes sont moins présentes que les hommes sur le marché du travail, travaillent moins d'heures, gagnent moins d'argent et n'atteignent pas les mêmes échelons dans leur milieu professionnel (Méda 2008b, p. 128).

La perméabilité entre la sphère domestique et la sphère publique signifie aussi le débordement des responsabilités familiales des femmes sur leur emploi. Pour les hommes, au contraire, c'est davantage l'emploi qui déborde et empiète sur la vie familiale. L'activité professionnelle des hommes n'est pas modifiée par l'arrivée des enfants, celle des femmes l'est. [...] La résistance des hommes à  un partage équitable des tâches domestiques et parentales est également un obstacle à  la conciliation. Bien souvent, la conciliation est en fait une confrontation travail-famille (CSF 1995, p. 18).

La diminution des inégalités entre les sexes implique la déspécialisation des rôles : si les deux membres d'un couple occupent un emploi rémunéré, les hommes devraient alors s'occuper autant des tâches ménagères et familiales que les femmes pour que les deux conjoints puissent s'investir également dans le travail professionnel.

L'égalité de genre ne pourra être vraiment atteinte que si les hommes prennent en charge une partie des tâches domestiques et familiale (sic) et que se met en place, outre une configuration où les deux membres du couple participent également au marché du travail (deux apporteurs de revenu) et à  la prise en charge des tâches domestiques et familiales (deux pourvoyeurs de soins) (Méda 2008b, p. 123).

Une des manières d'amener les hommes à  assumer plus de travail domestique est la mise en place de mesures d'articulation famille-travail, comme le congé parental. Jusqu'à  aujourd'hui, ce sont néanmoins les femmes qui se sont prévalues très majoritairement des mesures instaurées au Québec comme ailleurs (Tremblay 2012, p. 36). Or, celles-ci ne permettront pas de diminuer les inégalités de sexe si les hommes ne s'investissent pas davantage dans le travail domestique et parental. « L'émancipation doit concerner autant les hommes que les femmes : celle des femmes passe par le travail salarié tandis que celle des hommes consiste en une participation accrue dans la sphère familiale, notamment dans la prise en charge des enfants » (Brachet 2007, p. 176).

Selon une étude réalisée par Linda Haas de l'Université d'Indiana à  propos de l'implication des pères suédois dans le travail domestique et familial, le partage plus équitable des congés parentaux amène une plus grande égalité conjugale. Deux cinquièmes des pères de cette étude qui avaient pris un congé parental partageaient également les soins aux enfants une fois le congé terminé. Chez les pères n'ayant pas pris de congé parental, cette proportion était deux fois moins importante (Haas et Hwang 2008, p. 88).

Ces données se sont par la suite confirmées lors d'une autre étude menée en 2008 par la même chercheure auprès de pères suédois ayant pris au moins 120 jours de congé parental entre 1992 et 1999. Celle-ci a démontré que ces pères avaient développé une relation privilégiée avec leurs enfants, ce qui les faisait se sentir plus responsables du travail parental une fois le congé terminé. Les mêmes conclusions émergent d'autres recherches conduites en Norvège en 1987 et en 1996, ainsi qu'aux États-Unis en 1993 (Haas 2008, p. 89). L'étude sur les cas norvégiens précise même que les pères ayant pris seuls avec leur enfant une portion du congé parental auraient développé un grand sentiment de compétence découlant de leur rôle de principal parent. Les congés parentaux occupent donc une position centrale dans les politiques familiales en Occident.

Les congés parentaux et leur utilisation dans le monde

Différents modèles de congés de paternité ont été introduits dans les pays occidentaux depuis les dernières décennies. Parfois, ces programmes ont été développés pour favoriser les couples à  deux sources de revenus, comme en Allemagne, d'autres fois pour stimuler le taux de natalité, comme en Slovénie, ou encore pour promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes, comme en Islande (O'Brien 2009, p. 209). Nous présenterons dans un premier temps quelques typologies utilisées pour classer les pays selon le type de congés parentaux proposés pour ensuite nous arrêter un peu plus longuement sur le cas de la Suède. Enfin, les caractéristiques socioéconomiques reconnues dans les études internationales comme favorables à  la prise d'un congé parental par les hommes seront discutées.

Typologies des congés parentaux

Margaret O'Brien (2009, p. 194) a élaboré une typologie pour catégoriser les États selon la générosité de leurs congés de paternité. Elle divise les congés de paternité dans le monde occidental en quatre grandes catégories :

Cette typologie est organisée autour de deux axes : la durée du congé et le taux de remplacement du revenu. Les congés longs, selon O'Brien, comprennent les congés d'au moins 14 jours tandis que les congés courts sont de moins de 14 jours. Dans le cas des congés de maternité, toutefois, l'auteure affirme qu'ils sont considérés comme longs à  partir d'un an; l'utilisation de critères différents par l'auteure pour déterminer qu'un congé est long, selon qu'il est pris par la mère ou le père, s'avère majeure et mérite d'être relevée. Quant au taux de remplacement du revenu, il est considéré comme haut lorsqu'il atteint au moins 50 % du salaire et jugé bas à  moins de 50 % du salaire (O'Brien 2009, p. 194).

Selon une autre typologie présentée par Diane-Gabrielle Tremblay (2012, p. 262), les États se divisent en trois catégories du point de vue de leurs politiques de conciliation travail-famille (CTF).

Les États non interventionnistes, comme les États-Unis, l'Angleterre et les États de l'Europe du Sud ont des politiques très restreintes dans le domaine. Alors que les pays anglo-saxons interviennent peu au nom de l'idéologie libérale, les pays du sud de l'Europe ne légifèrent pas en matière de CTF d'abord parce que les femmes sont encore perçues comme les responsables « naturelles » des enfants et de l'espace familial. Les entreprises sont laissées libres d'adopter ou non des politiques internes de CTF.

D'autres États adoptent une position interventionniste modérée. Parmi eux, nous trouvons l'Allemagne et les Pays-Bas qui, notamment par le moyen de mesures fiscales, incitent les mères (surtout) à  quitter temporairement le travail rémunéré lorsque naissent les enfants. Le travail à  temps partiel est par ailleurs encouragé, encore une fois surtout pour les femmes. Les structures de garderies favorisent cette vision que « l'enfant est mieux avec ses parents qu'en service de garde », notamment par des heures d'ouverture restreintes. Tremblay donne à  ce modèle le nom de modèle à  « un revenu et demi2 ».

Les États de la conciliation travail-famille, modèle porté en premier lieu par les pays scandinaves et ont inspiré le Québec dans les dernières décennies pour sa politique familiale. Au centre de ce modèle se trouve l'idée que l'emploi et la famille doivent être articulés, sans sacrifier l'un ou l'autre. En théorie, les couples se composent de « deux apporteurs de revenus et de deux pourvoyeurs de soins », ou, du moins, les politiques publiques laissent la possibilité aux deux parents de s'investir également dans les sphères familiale et professionnelle.

Quelques exemples de congés de paternité et de congés parentaux dans le monde

La Norvège a été le premier pays à  adopter un congé de paternité exclusif, en 1993. Les congés parentaux sont longs et bien rémunérés : 9 semaines réservées pour la mère et 12 semaines exclusives au père. De plus, les parents peuvent se partager de 46 à  56 semaines de congé parental, dépendamment du régime choisi, à  un taux de remplacement variant de 80 % à  100 % du salaire. Par contre, l'accessibilité du régime n'est pas garantie : les congés du père autant que de la mère dépendent de l'emploi de celle-ci. En effet, durant les 10 mois précédant la naissance, la mère doit avoir travaillé au moins 6 mois pour que les parents soient admissibles au régime (Brandth et Kvande 2014, p. 1-2).

Le Danemark offre aussi un long congé totalisant 52 semaines. Le congé de maternité réservé à  la mère est de 18 semaines et le congé de paternité exclusif est de 2 semaines. Le reste du congé peut être partagé entre les parents. La participation des pères est faible : ils ne prennent que 6 % des congés parentaux. Cela peut s'expliquer en partie par la faible proportion des congés réservés aux pères (Haataja 2009, p. 8).

La France a adopté en 2014 une loi modifiant substantiellement ses congés parentaux. Les nouvelles dispositions, entrées en vigueur le 1er janvier 2015, prévoient des congés de 6 mois pour chacun des deux parents à  l'arrivée d'un premier enfant. Toutefois, le montant accordé en remplacement du revenu des parents est très faible, soit environ 550 $ par mois, et n'est pas cumulable si les deux parents prennent le congé en même temps. À titre de comparaison, les prestations hebdomadaires maximales au Québec dépassent légèrement 1 000 $. De plus, dans le cadre du RQAP, les prestations des deux parents s'additionnent.

En France, un montant additionnel est prévu au troisième enfant si l'un des deux parents cesse son emploi, ce qui était déjà  le cas sous l'ancienne loi qui prévoyait aussi que les pères avaient uniquement droit à  11 jours de congé de paternité. Les mères prenaient ainsi la grande majorité des congés parentaux disponibles. Ces dernières étaient d'ailleurs beaucoup plus nombreuses à  cesser leur emploi pour s'occuper des enfants (Tremblay 2012, p. 270).

Selon les données d'O'Brien (2009, p. 199-204), l'utilisation des congés parentaux ou de paternité dépend du pays de résidence des pères et des mesures mises en place pour faciliter son implication dans le travail domestique et parental.

Les congés parentaux font partie d'un ensemble d'investissements publics destinés à  soutenir la parentalité et l'égalité entre les sexes. La Suède est considérée, à  cet égard, comme une pionnière.

La Suède : un pays à  l'avant-garde

La Suède est devenue, en 1974, le premier pays à  permettre aux pères d'utiliser des congés parentaux, favorisant ainsi une plus grande égalité entre les sexes, tant du point de vue du partage du travail domestique et parental que de celui du travail rémunéré (Månsdotter et collab. 2010, p. 325). Ce pays représente, à  plusieurs égards, un modèle en matière de politiques familiales égalitaires.

La réforme de 1974 rendant le congé parental accessible aux pères prend ses racines dans des politiques sociales et natalistes qui remontent aussi loin que les années 1930 (Appelqvist 2007). Les impératifs démographiques ne sauraient toutefois expliquer à  eux seuls l'adoption de congés parentaux partageables en Suède. La volonté de favoriser une plus grande égalité entre les sexes a été un argument majeur lors de leur implantation. Il s'agissait aussi d'aider les deux parents à  développer leur implication auprès de leur enfant tout en conservant un lien avec le marché du travail (Haas 1990, p. 401-402).

La Suède s'est intéressée à  l'égalité entre les femmes et les hommes comme un moyen pour lutter contre des problèmes économiques. L'économie suédoise, autant que le bien-être des familles du pays, dépend de la présence massive des femmes sur le marché du travail. Encourager les hommes à  s'investir davantage dans leur famille a donc eu le double avantage de favoriser l'égalité dans l'espace domestique, mais aussi de stimuler la participation des femmes au marché du travail (Haas 1990, p. 402).

En 1974, le gouvernement suédois s'exprimait en ces termes :

Le passage du congé de maternité au congé parental est une indication importante que le père et la mère partagent les responsabilités des soins à  l'enfant. Il s'agit d'une étape importante d'une politique qui vise à  travers différentes mesures à  favoriser l'égalité, non pas seulement légalement, mais en pratique, entre les hommes et les femmes à  la maison, au travail et dans la société (cité dans Haas 1990, p. 402, notre traduction).

Le gouvernement suédois a prolongé la durée du congé à  six reprises depuis 1974, celui-ci passant de 6 mois à  l'origine à  16 mois depuis 2002. Cet allongement du congé par les gouvernements successifs est un indice du consensus politique autour de la question et de la « conviction dans l'opinion publique qu'un petit enfant doit être gardé d'abord par ses parents » (Brachet 2007, p. 178).

Il est intéressant de noter que la notion même d'égalité entre les femmes et les hommes fait aussi l'objet d'un large consensus (Raynault et Côté 2013, p. 81). Un sondage mené en 2005 auprès de 1 000 Suédois a permis de constater que 97 % des répondants croyaient que le congé parental devait être partagé, même si 90 % affirmaient que l'État ne devait pas augmenter le nombre de jours réservés à  l'un ou l'autre des parents (Haas et Hwang 2008, p. 89-90). Une étude de 1996 démontrait que, déjà  à  ce moment, 85 % des femmes et 80 % des hommes croyaient que les hommes devaient partager équitablement les responsabilités du travail familial avec les femmes (Haas et Hwang 2008, p. 92).

Le taux de remplacement du revenu lors des congés parentaux suédois est plus élevé qu'au Québec. En effet, les parents reçoivent 80 % de leur salaire pour un peu plus des quatre cinquièmes des jours de congé parental. Environ 10 % des parents touchent aussi un montant de leur employeur qui vient bonifier cette allocation (Haas et Hwang 2008, p. 89).

Les congés parentaux suédois s'inscrivent dans un continuum de politiques familiales égalitaires. En effet, depuis l'adoption d'une politique d'égalité en 1968, le pays s'est doté d'un ensemble de mesures visant à  promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes. Une taxation individuelle a été introduite afin de favoriser l'emploi féminin en ne pénalisant pas les couples dont le revenu familial est plus élevé en raison de la biactivité salariée des conjoints. Ensuite, la Suède a mis en place un système de garderies subventionnées à  coûts réduits3 pour les parents, dans lequel chaque enfant a une place garantie dès l'âge d'un an4. Les congés parentaux suédois ne se limitent pas à  la période entourant la naissance de l'enfant, mais s'inscrivent plutôt dans une logique à  long terme de conciliation travail-famille : 60 jours de congés payés par année pour les parents lorsque leur enfant est malade, jusqu'à  l'âge de 12 ans, en plus des 16 mois de congés parentaux partageables et utilisables en journées ou en demi-journées partageables entre les parents, jusqu'à  ce que l'enfant ait atteint l'âge de 8 ans (Raynault et Côté 2013, p. 69; Tremblay 2012, p. 264-267).

Le pays tente de convaincre les pères d'utiliser les congés auxquels ils ont accès à  l'aide de campagnes de promotion et de sensibilisation à  grande échelle. Ces campagnes exposent les bénéfices que peuvent retirer les pères et les enfants de la présence paternelle. De plus, le gouvernement suédois tâche de rendre plus souple la prise du congé, afin de l'adapter aux contraintes professionnelles, en permettant notamment aux parents de prendre leurs congés parentaux à  temps partiel. Les Suédoises et les Suédois ont acquis le droit de travailler à  heures réduites sans que l'employeur ait à  donner son aval au cas par cas (Brachet 2007, p. 180). L'instauration de deux mois de congés parentaux réservés aux pères et de deux mois réservés à  la mère a fait augmenter significativement la prise des congés par les pères car s'ils ne les prennent pas, ces jours sont perdus. Trois ans après l'adoption de la mesure, en 1998, 90 % des nouveaux pères prenaient un congé de paternité, comparativement à  51 % en 1993 (Haas et Hwang 2008, p. 90).

En outre, l'État suédois accorde une réduction d'impôt d'environ 100 couronnes (15 $) pour chaque jour de congé pris par le père en supplément du congé de paternité. Cette réduction d'impôt pouvant atteindre jusqu'à  13 500 couronnes (2 050 $) est offerte même aux parents qui n'habitent pas ensemble. Elle vise à  augmenter la participation des pères à  faibles et moyens revenus au congé (Tremblay 2012, p. 266).

Malgré ces efforts auprès des hommes et bien que la Suède trône dans les palmarès des pays où les inégalités entre les femmes et les hommes sont les moins fortes, il n'en demeure pas moins que les hommes suédois ne prennent que 20 % des congés parentaux auxquels ils ont droit. Le corollaire est évident : les femmes en prennent 80 % (Månsdotter et collab. 2010, p. 325; Brachet 2007, p. 175).

Plus précisément, pour l'année 2005, on observe que bien que les hommes représentent 44 % des bénéficiaires de congés parentaux, ils ne prennent que 20 % des jours de congés parentaux. La première statistique pourrait laisser croire qu'une certaine parité est atteinte, presque la moitié des bénéficiaires des congés parentaux étant des hommes. Toutefois, les femmes prennent des congés cinq fois plus longs que les hommes (Brachet 2007, p. 182). Selon François de Singly, ces statistiques démontrent qu'il demeure une résistance chez les hommes à  participer pleinement au partage du rôle de parent, ce qu'il appelle la « paternité active ».

De nombreux hommes ne prennent aucun jour de congé alors que, sur les 480 jours théoriquement possibles, chaque conjoint peut en prendre 240, et que le transfert de l'un à  l'autre est limité à  180 jours. [...] La création de cette allocation parentale ne suffit pas à  imposer une appropriation égalitaire des jours de congé et donc de la prise en charge de l'éducation du jeune enfant. En moyenne, l'enfant est gardé pendant 17,8 mois par sa mère et 1,9 mois par son père! Même lorsqu'il s'implique plus, l'homme est avant tout ce que l'on pourrait nommer un parent d'appoint (de Singly 2013, p. 85-86).

Certes, les pères suédois utilisent massivement le congé de paternité de deux mois, mais, malgré des politiques publiques favorisant leur engagement, ils partagent encore modestement le congé parental.

À travers le monde, l'Organisation mondiale de la santé (citée par Månsdotter et collab. 2010, p.325-326) a proposé quatre raisons générales du peu d'engagement des pères :

  1. La persistance d'une conception traditionnelle qui voit la mère comme la principale responsable des soins et le père comme un pourvoyeur.

  2. Des pertes économiques plus importantes lorsque le père prend congé puisque les femmes sont encore généralement moins bien rémunérées que les hommes.

  3. Une perception négative des employeurs envers les congés parentaux pris par les hommes.

  4. L'absence des congés réservés aux pères.

L'exemple de la Suède montre que les politiques publiques sont essentielles, mais qu'un travail plus profond sur les mentalités et les conceptions des rôles de genre doivent les accompagner, sans quoi les hommes ne se prévaudront pas des congés qui leur sont accessibles et la division sexuelle du travail ne sera pas modifiée durablement.

Le modèle islandais

L'Islande a adopté en 2000 une loi sur les congés parentaux encourageant les pères à  s'impliquer davantage auprès de leurs enfants. Celle-ci prévoyait une nouvelle façon de partager les congés parentaux : 3 mois réservés à  la mère, 3 mois réservés au père et 3 mois de congé parental partageable. Le taux d'utilisation du congé par les pères a rapidement grimpé à  près de 90 %.

La nouvelle loi a amené les pères à  prendre un congé de paternité plus long, sans toutefois conduire à  un meilleur partage du congé parental. Les statistiques de 2007 démontrent que les pères prenaient en moyenne les 3 mois qui leur étaient réservés alors que les mères utilisaient généralement les 3 mois de congé de maternité et les 3 mois de congé parental partageables.

La crise économique de 2008 a amené une diminution de la participation des pères. Le taux de remplacement du revenu durant les congés parentaux a alors été diminué et comme les Islandaises gagnent en moyenne les deux tiers du salaire des Islandais, il devenait globalement beaucoup moins avantageux économiquement pour les couples que les pères se prévalent du congé parental. La flexibilité du congé a aussi amené les pères à  prendre le congé de façon discontinue, ce qui fait dire à  certains spécialistes que les pères se perçoivent encore comme des parents d'appoint.

En 2012, le gouvernement islandais a proposé une modification à  la loi sur les congés parentaux : un prolongement du congé total à  12 mois, dont 4 mois de congé de maternité, 4 mois de congé de paternité et 4 mois de congé parental partageable. Un comité d'étude de la loi a plutôt proposé la division suivante : 5 mois réservés à  la mère, 5 mois réservés au père et 2 mois partageables. Cette modification a été adoptée et entrera en vigueur en 2016. L'Islande tente donc, par le truchement de politiques publiques progressistes assez contraignantes pour les parents, de favoriser une division plus égalitaire des congés parentaux.

Sources : Eydal et Gislason 2013; Center for Gender Equality Iceland 2012, p. 16-17.

Des caractéristiques socioéconomiques favorables à  la prise d'un congé par les pères

Bien qu'on ne puisse observer aucun lien de causalité simple entre le niveau de scolarité, la profession, le secteur d'activité, le salaire des parents et la prise du congé parental par les pères, certaines variables semblent être plus importantes que d'autres. Par exemple, les pères plus scolarisés ayant un meilleur revenu et travaillant dans le secteur public auraient tendance à  être plus nombreux à  utiliser le congé parental. Toutefois, les pères mariés, qui ont plus de 35 ans et qui ont un revenu moins élevé prennent des congés plus longs.

La variable la plus déterminante reste le niveau d'études et de revenu de la mère : plus ceux-ci sont élevés, plus le père utilise le congé parental. Cette corrélation est généralement expliquée par le pouvoir de négociation des femmes ayant une position sociale élevée. Les mères qui sont dans cette situation sont également celles qui prennent les congés les plus courts, puisque plus souvent partagés avec leurs conjoints (Brachet 2007, p. 183).

En somme, les principaux facteurs favorisant la prise d'un congé parental chez les nouveaux pères suédois seraient :

À l'inverse, les facteurs qui diminueraient les chances de prendre un congé parental chez les nouveaux pères sont :

En Suède, des chercheurs ont ainsi conclu que le milieu de travail avait lui aussi une influence sur la prise des congés parentaux et de paternité (Sundstrà¶m et Duvander 2002, p. 443). Outre les éléments mentionnés précédemment sur le secteur d'emploi, ces recherches insistent aussi sur ces éléments :

En somme, la prise d'un congé par les pères est le résultat d'une combinaison complexe de pratiques parentales, d'habitudes de travail, de comportements par rapport à  l'enfant et d'une panoplie de variables socioéconomiques (revenu, scolarité, santé, etc.) (O'Brien 2009, p. 206207). Ce qu'on sait toutefois, grâce aux études sur les pères suédois, c'est que ceux qui prennent plus de 20 % du congé parental sont plus engagés auprès de leur famille : ils travaillent moins d'heures hors de la maison et participent davantage au travail domestique et aux soins aux enfants, du moins à  court terme. Les recherches norvégiennes sur l'implication paternelle ont quant à  elles démontré que les pères qui utilisent le congé de paternité en étant seuls à  la maison avec l'enfant deviennent plus conscients du rythme de vie avec un enfant que les pères qui prennent un congé de paternité en présence de la mère (Lappergard 2008).

La parentalité, le travail et les congés parentaux au Québec

À partir des années 1970, des mesures permettant aux nouveaux parents en emploi de demeurer auprès de leur nouveau-né quelque temps ont été adoptées de façon graduelle. En 1971, le programme d'assurance chômage est d'abord modifié afin de permettre le versement de 17 semaines de prestations de maternité, dont 15 payées à  60 % des gains assurables (Tremblay 2012, p. 318). Il s'agit à  l'époque de la seule protection pour la plupart des mères canadiennes.

Quelques années plus tard, en 1978, un congé de maternité sans solde de 18 semaines entre en vigueur au Québec, notamment pour pallier les problèmes résultant du délai de carence sans revenu de deux semaines imposé par le régime d'assurance-emploi fédéral. Du même coup, le gouvernement québécois adopte le programme de prévention Pour une maternité sans danger, distinct du congé de maternité et qui permet aux femmes enceintes d'être retirées préventivement de leur emploi s'il y a un danger pour leur santé ou celle de leur enfant à  naître5(Tremblay 2012, p. 318).

La protection des droits de travailleuses enceintes ou qui allaitent est, depuis 1981, garantie par la Loi sur la santé et la sécurité du travail, puis en 1983 par la Charte des droits et libertés de la personne (CSF 2000, p. 5). Les prestations parentales ont été allongées de 10 semaines en 1990, au même taux que l'assurance chômage. Un congé parental sans solde de 34 semaines est inscrit à  la Loi des normes du travail un an plus tard et étendu à  52 semaines en 1997 (CSF 2000, p. 5-6).

Malgré l'allongement à  un an de la période couverte par le congé parental canadien en janvier 2001, les règles d'admission continuent de pénaliser une proportion significative de femmes. En effet, puisque le programme est encore administré par l'assurance chômage, les femmes qui veulent en bénéficier doivent avoir un emploi assurable, ce qui exclut d'emblée les travailleuses autonomes et celles n'ayant pas accumulé suffisamment d'heures de travail rémunéré6. En 2001, ce sont 35 % des nouvelles mères qui n'ont pu bénéficier des prestations fédérales (Tremblay 2012, p. 319).

Des mesures de conciliation travail-famille récentes et leur utilisation

Depuis la fin des années 1990, deux principales mesures publiques ont été mises en place au Québec pour soutenir l'articulation famille-travail, à  la suite de l'adoption du livre blanc Nouvelles dispositions de la politique familiale en 1997. Premièrement, le gouvernement du Québec a lancé cette même année le programme de services de garde subventionnés7.

Deuxièmement, le Régime québécois d'assurance parentale (RQAP), mis en œuvre en janvier 2006, vise à  remplacer et à  regrouper dans un même programme les prestations de maternité, parentales et d'adoption qui relevaient précédemment du Régime fédéral d'assurance-emploi.

Le Régime québécois d'assurance parentale présente des nouveautés comparativement au Régime fédéral d'assurance-emploi. D'une part, les travailleuses et les travailleurs autonomes sont désormais couverts par le RQAP alors que ces personnes ne pouvaient bénéficier d'un soutien du Régime fédéral d'assurance-emploi. Le RQAP permet aussi aux pères de bénéficier de prestations qui leur sont réservées (Léger Marketing 2011, p. 3).

Le RQAP a amené trois changements majeurs par rapport au régime fédéral : d'abord, l'augmentation du revenu assurable et le taux de remplacement du revenu plus élevé permettent des prestations plus importantes8. Ensuite, les nouveaux parents ont le choix entre deux régimes distincts au sein du RQAP, le régime de base qui prévoit un plus long congé, mais des prestations plus basses, et un régime particulier qui prévoit un congé plus court, et mieux payé. Par ailleurs, il n'y a pas de délai de carence, contrairement au régime fédéral : les parents touchent des prestations dès la naissance de leur enfant. Voici un résumé des modalités prévues par les deux régimes :

Prestations du RQAP : tableau synthèse
Types de prestations Régime de base Régime particulier
Nombre maximal de semaines de prestations Pourcentage du revenu hebdomadaire moyen Nombre maximal de semaines de prestations Pourcentage du revenu hebdomadaire moyen
Maternité (exclusives à  la mère) 18 70 % 15 75 %
Paternité (exclusives au père) 5 70 % 3 75 %
Parentales (partageables entre les parents) 32 7 semaines à  70 %

25 semaines à  55 %
25 75 %
Source : Gouvernement du Québec 2013, p. 5.

Le troisième changement important instauré par le RQAP est le congé réservé aux pères, à  l'instar des pays scandinaves. Les pères québécois ont eu accès à  partir de 2006 à  un congé exclusif de 3 à  5 semaines, ce qui a fait augmenter de façon importante la prise de leur congé : encore aujourd'hui, seulement un quart des pères canadiens prennent un congé de paternité par rapport à  près de 80 % des pères québécois. La présence du père dans les « naissances-RQAP9 » a augmenté depuis l'adoption du régime en 2006. Alors que ceux-ci étaient présents dans une proportion de 69 % à  la première année du régime, ils ont été 78 % à  s'en prévaloir en 2012 (CGAP 2014b, p. 4). À titre de comparaison, en 2010, 13 % des pères des autres provinces canadiennes prenaient un congé parental10 (Findlay et Kohen 2012, p. 5).

Le RQAP est un programme nettement plus généreux que le programme fédéral : les prestations sont plus élevées, les parents ont le choix entre deux régimes et les pères ont désormais un congé qui leur est réservé. Il aura fallu presque neuf ans de négociations avec le gouvernement fédéral afin que le Québec puisse mettre en place son propre régime de congés parentaux. Le projet a dû être accepté tant par les employeurs que par les syndicats, qui ne voulaient pas alourdir leur fardeau fiscal (Boivin 2005; Gagnon 2005). Certaines critiques initiales voyaient aussi d'un mauvais œil la gestion supplémentaire pour les employeurs qu'occasionneraient des congés de paternité (Harvey 2006). Presque dix ans plus tard, le RQAPest encore plus populaire que dans les prévisions initiales.

En juillet 2014, le Conseil de gestion de l'assurance parentale (CGAP) publiait ses plus récentes statistiques sur les naissances et sur la participation au Régime d'assurance parentale du Québec. En 2012, on a compté 88 700 naissances au Québec, desquelles 76 800 ont donné lieu à  des prestations du RQAP. Le taux de participation au régime est donc de 86,6 %. Dans 68 % des cas, des prestations ont été versées aux deux parents; dans 22 % des cas, seule la mère a reçu des prestations, comparativement à  10 % des cas où seulement le père était prestataire.

Statistiques relatives aux naissances et à  l'utilisation du RQAP au Québec en 2012
2012
Nombre de naissances 88 700
Taux de participation au régime 86,6 %
Prestataire
Les deux parents 68,0 %
Seulement la mère 22,0 %
Seulement le père 10,0 %

Source : CGAP 2014b, p.17.



Le congé de paternité exclusif est largement utilisé par les pères : « 91 % des pères ayant eu recours uniquement au congé de paternité ont utilisé la totalité des semaines pour ce congé » (Léger Marketing 2011, p. 27). Toutefois, près des trois quarts des pères (73 %) ayant utilisé le congé de paternité n'ont pas recours au congé parental. En fait, la proportion de pères qui utilisent le congé parental oscille autour de 30 % (CGAP 2012, p. 27). De plus, les pères se prévalant du congé parental prennent souvent une faible proportion des semaines disponibles. En 2010, parmi les pères qui ont eu recours au congé parental :

Mères ayant pris un congé parental et un congé de maternité entre 2006 et 2010
2006 2008 2010
Nombre de naissances RQAP 66 610 74 078 75 078
Total des mères ayant pris un congé parental 58 972 65 163 66 070
Pourcentage des mères ayant pris un congé parental 88 % 88 % 88 %
Total des mères ayant pris un congé de maternité 60 360 66 654 67 530
Pourcentage des mères ayant pris un congé de maternité 91 % 90 % 90 %
Source : Données fournies par le CGAP.

Le tableau précédent démontre que la proportion de femmes prenant un congé de maternité et un congé parental dans le cadre du RQAP est stable entre 2006 et 2010, bien que le nombre de naissances et de prestataires augmente. Le tableau suivant présente une légère augmentation de la proportion des pères qui ont recours au congé parental. La croissance du pourcentage des pères qui utilisent le congé exclusif de paternité est plus rapide. En somme, les pères ont eu largement et rapidement recours au congé de paternité réservé, mais ils ont été moins enclins à  partager le congé parental avec leur conjointe. En 2005, avant l'entrée en vigueur du RQAP, 32 % des pères québécois avaient pris un congé parental. Le RQAP a donc amené une proportion beaucoup plus grande de pères à  prendre un congé de paternité ou un congé parental, mais pour une durée plus courte : une moyenne de 13 semaines en 2005 et de 7 semaines en 2006, ce qui se maintient jusqu'à  ce jour (Statistique Canada, page consultée le 17 mars 2015b).

Pères ayant pris un congé parental et un congé de paternité entre 2006 et 2010
2006 2008 2010
Nombre de naissances RQAP 66 610 74 078 75 078
Total des pères ayant pris un congé parental 14 034 17 005 18 390
Pourcentage des pères ayant pris un congé parental 30,6 % 30,8 % 32,0 %
Total des pères ayant pris un congé de paternité 45 906 55 229 57 409
Pourcentage des pères ayant pris un congé de paternité 69,0 % 74,5 % 76,5 %

Source : Données fournies par le CGAP.



Le partage du congé parental selon les pères

Afin de mieux comprendre les motifs des pères ayant recours aux congés du RQAP(paternité et parental), le CGAP a fait réaliser deux sondages auprès de pères prestataires, publiés en 2011 et en 201511. Les deux nous offrent des données intéressantes sur les motifs et les modalités de la prise des congés.

En 2011, un peu moins de 8 % des pères ont pris la totalité du congé parental. Ils n'étaient plus que 6,2 % à  le faire chez les répondants de 2015 (Léger Marketing 2011, p. 30; Zins Beauchesne et associés 2014, p. 3). Dans les deux sondages, un peu plus de la moitié des pères (56 %) ont affirmé vouloir apporter leur soutien à  la mère en prenant un congé, quel qu'il soit. D'emblée, ces pères semblent définir leur rôle comme un appui au travail de la mère, le premier parent. Autour du tiers des pères ont aussi affirmé vouloir passer le plus de temps possible avec leur enfant, dans 35 % des cas en 2011 et 32,5 % en 2015. Prendre soin de l'enfant était aussi une des motivations les plus souvent nommées par les pères (27 % en 2011 et en 2015) (Léger Marketing 2011, p. 22; Zins Beauchesne et associés 2014, p. 25).

Le statut de la mère semble être le facteur le plus important pour la prise de la totalité du congé parental par les pères : lorsque les mères n'ont pas eu recours au RQAP - souvent parce qu'elles n'y avaient pas droit - plus de la moitié des pères prennent l'ensemble du congé parental. Les données de 2015 sont plus précises sur le sujet. La moitié des pères (33) qui ont pris l'entièreté du congé parental l'ont fait parce que la mère était aux études (31,9 %), sans emploi (16,8 %) en congé de maladie ou qu'elle recevait des prestations de la CSST (11,4 %). Dans ces cas, la mère n'était donc pas admissible au RQAP. Dans 13,5 % des cas, la mère ne prenait pas le congé parental pour des raisons financières ou pour des raisons liées à  son milieu de travail (11,8 %) (Zins Beauchesne et associés 2014, p. 32). En outre, les pères qui utilisent la totalité du congé parental optent davantage pour le régime particulier, plus court, mais mieux rémunéré.

Dans 80 % des cas en 2011 et 83,4 % en 2015, les mères étaient présentes à  la maison lorsque les pères ont pris leur congé. Chez les pères ayant utilisé seulement le congé de paternité, cette situation était encore plus fréquente : la mère était toujours présente dans 89 % des cas. En 2015, les pères ayant eu recours au congé parental ont été les seuls prestataires du RQAPdans une proportion de 29,8 % durant une partie du congé et de 10,7 % dans sa totalité. Nous ne pouvons toutefois pas conclure qu'ils étaient seuls avec l'enfant, puisque les mères n'étaient pas en emploi dans 13,4 % des cas. Elles n'avaient donc pas droit au RQAP(Léger Marketing 2011, p. 34; Zins Beauchesne et associés 2014, p. 49).

En somme, en 2011, seuls 5 % des pères ayant pris uniquement un congé de paternité l'ont fait complètement en l'absence de la mère, un chiffre qui augmente à  12 % dans le cas des pères ayant opté pour un congé de paternité et un congé parental. Les motifs de cette présence concomitante à  celle de la mère sont le plus souvent la volonté d'aider celle-ci et le désir de passer du temps en famille (Léger Marketing 2011, p. 34-35).

En 2011, le moment de la prise du congé par les pères est le même dans 80 % des cas : l'arrivée de l'enfant à  la maison. Dans les familles de deux enfants, ce chiffre augmente à  84 %, mais diminue toutefois à  72 % à  partir du troisième enfant. Les autres moments où les pères ont pris un congé sont : les vacances (26 %) et une période de baisse d'activité professionnelle (18 %), la période des Fêtes (17 %), le moment du retour au travail de la mère (15 %) et la relâche scolaire (9 %) (Léger Marketing 2011, p. 36).

Les pères sondés en 2011 ont à  99 % qualifié de très importante (81 %) ou d'importante (18 %) la prise d'un congé d'une forme ou d'une autre lors de l'arrivée de leur enfant.

Parmi ces pères, 68 % de ceux ayant utilisé la totalité du congé de paternité (3 à  5 semaines) ont affirmé avoir désiré prendre un congé plus long, mais qu'une contrainte les en a empêchés :

Ce pourcentage est significativement plus élevé chez les pères qui détiennent un certificat ou un diplôme universitaire (76 %) et chez ceux œuvrant en enseignement, santé et administration publique (85 %), alors qu'il est plus faible chez ceux détenant un diplôme d'études secondaires ou des études collégiales non complétées (58 %). Les hommes dont la mère de leur enfant a un diplôme d'études secondaires ou des études collégiales non complétées sont également moins nombreux à  affirmer qu'ils auraient pris un congé parental, n'eut été les contraintes rencontrées (57 %) (Léger Marketing 2011, p. 28).

Le sondage ne nous permet pas d'expliquer entièrement cet écart entre les désirs affirmés des pères très scolarisés de prendre un congé parental et la réalité du faible partage de ce congé. Les données de 2015 nous apprennent toutefois que les parents ont généralement peu discuté du partage du congé parental. Dans l'ensemble, 36,5 % des pères disent avoir parlé du partage du congé parental avec leur conjointe, 25,4 % l'ont fait « un peu » et 37,1 % n'en ont pas parlé du tout. Les pères qui ont pris seulement le congé de paternité ont eu moins tendance à  discuter du sujet avec leur conjointe, alors que plus de la moitié des couples qui ont partagé le congé parental en ont discuté (Zins Beauchesne et associés 2014, p. 34).

Certains pères affirment par ailleurs avoir rencontré des difficultés avec leur employeur lors de la prise du congé. En 2011, 14 % des pères sondés ont dit avoir eu des difficultés à  obtenir des semaines consécutives, 10 % ont mentionné que la durée du congé avait été un problème et 5 % ont affirmé que les relations avec leur employeur s'étaient détériorées dans le contexte de la prise du congé (Léger Marketing 2011, p. 47). En 2015, seulement 6 % des pères ont indiqué avoir connu des difficultés dans leur milieu de travail, ce qui constitue une nette amélioration. Parmi les raisons invoquées, les pères mentionnaient la perception d'une attitude négative de leur employeur, le choix des modalités du congé (sa durée, son moment, par exemple) ou les problèmes de remplacement et la charge de travail (Zins Beauchesne et associés 2014, p. 56).

Si le congé de paternité prévu par le RQAPn'avait pas été accessible, les pères auraient-ils été portés à  prendre un autre type de congé ? Le sondage réalisé auprès des pères, publié en 2011, laisse croire qu'une proportion importante de pères auraient été tentés de prendre congé malgré tout.

Les hommes dont la mère de leur enfant est titulaire d'un certificat ou d'un diplôme universitaire (88 %) et ceux dont le ménage compte un seul enfant (87 %) sont plus nombreux à  affirmer qu'ils auraient pris un congé alternatif si le congé de paternité n'existait pas. En revanche, ceux ayant un revenu hebdomadaire moyen situé entre 800 $ et 1 000 $ et ceux dont la mère de leur enfant a un diplôme d'études secondaires sont plus nombreux à  penser le contraire (28 % et 25 %, respectivement) (Léger Marketing 2011, p. 44).

Si le congé de paternité exclusif aux pères n'avait pas existé, 63 % des répondants de 2011 ont affirmé qu'ils auraient utilisé leurs vacances annuelles afin de s'occuper de l'enfant. Parmi les autres options possibles, 47 % des répondants ont indiqué qu'ils auraient eu recours au congé parental, alors que 33 % auraient plutôt opté pour un congé sans solde (Léger Marketing 2011, p. 44).

Dans le cas de la présente recherche sur le partage des congés parentaux, peut-on considérer que l'écart, chez la très grande majorité des pères fortement scolarisés, entre le discours égalitaire (affirmer qu'ils auraient pris un congé pour s'occuper de leur enfant, même si le congé de paternité n'avait pas existé) et le faible partage du congé parental avec les mères est un résultat de la désirabilité sociale12 et de la norme d'égalité dans les milieux scolarisés ? Nous verrons dans la section suivante que cet écart entre les discours égalitaires et la division effective du travail entre les parents s'articule plus largement avec les représentations de la maternité et de la paternité qui existent actuellement.

Les sondages menés auprès des pères pour le compte du CGAP sont, en somme, riches d'enseignements sur l'utilisation des congés parentaux et de paternité. Ils nous permettent de constater la vision qu'ont les pères de la prise de leur congé : malgré l'importance qu'ils portent aux congés parentaux, une majorité d'entre eux semblent se voir comme deuxièmes parents, en aide à  la mère des enfants.

Toutefois, ils ne nous informent pas sur certains aspects importants entourant le congé. Comme il s'agit de sondages d'une durée moyenne de 13 à  16 minutes, les pères interrogés ne pouvaient expliquer plus en profondeur les particularités de leur parcours de vie vers la parentalité, les moti- vations sous-jacentes à  leurs choix, le processus de décision de partager ou non le congé parental, etc. En effet, pour mieux connaître le processus qui mène les parents à  organiser et partager les congés, une recherche qualitative est nécessaire.

Enquête auprès de nouveaux parents

Étudier les modalités du partage du congé parental implique une connaissance des discussions qui ont mené au partage - ou au non-partage - de ce congé et à  son incidence sur le travail domestique et familial. Une démarche de type qualitatif auprès d'un nombre plus restreint de personnes permet d'en apprendre davantage sur la réalité des nouveaux parents qui prennent des congés, tant sur les représentations qui organisent leurs expériences que sur leur quotidien concret et le travail parental qu'ils et elles effectuent. Ce type de démarche nous amène à  mieux comprendre comment ce partage a été vécu par les deux parents d'une même famille, et de réfléchir aux liens entre le partage du congé parental et la division du travail domestique et familial. On est plus à  même d'observer les convergences et les divergences entre les discours des pères et des mères sur l'égalité des sexes et le partage du travail domestique et familial.

Des entretiens individuels ont été réalisés auprès de 27 parents de différents milieux socioéconomiques, 15 mères et 12 pères. Les outils de collecte des données et les hypothèses de travail ont été élaborés à  partir du cadre théorique et des données décrites dans les chapitres précédents13. Les entretiens ont permis de dégager des données sur les modalités du partage des congés parentaux chez les parents rencontrés, les conséquences de la prise de ces congés sur leur division du travail domestique, les contradictions entre le discours égalitaire et les pratiques inégalitaires dont ils sont les héritiers, les représentations de l'implication des pères et la définition des mères comme premiers parents.

Des parents égalitaires et une division du travail inégalitaire

Les parents rencontrés dans le cadre de cette enquête ont tous tenu, à  des degrés divers, un discours égalitaire. Pour eux, il apparaissait acquis que les parents partageaient les tâches domestiques, le travail parental et les décisions familiales. Plus encore, ils affirmaient presque tous d'emblée que le travail domestique était effectivement partagé entre les conjoints, dans une conception du partage mobilisant la notion de complémentarité, sans voir que concrètement, la division du travail entre les deux parents demeurait fortement inégalitaire.

Un père, qui a pris cinq semaines de congé de paternité, mais aucun congé parental dit : « On se partageait déjà  les tâches, on a continué notre mode de vie (11)14. » Sa conjointe présente aussi une vision égalitaire de leur couple : « j'en faisais plus durant mon congé, j'avais quand même un peu plus de temps, mais pas tout non plus, je suis pas une femme au foyer ». Une fois de retour chacun dans son emploi, elle considère que le partage s'est établi « pas mal moitié-moitié. Il n'y en a pas un qui en fait plus que l'autre (2). »

Seuls deux pères rencontrés ont affirmé d'emblée que leur conjointe faisait une majorité du travail domestique et familial (18 et 26). Il s'agissait effectivement de deux pères très peu impliqués dans le travail domestique et les soins aux enfants. Les mères ont moins spontanément parlé d'égalité dans le partage du travail domestique; elles ont davantage attendu que la question de la perception de l'égalité conjugale soit directement abordée avant d'en discuter.

Outre ces deux pères qui reconnaissaient leur non-implication, les autres pères rencontrés affirmaient d'emblée que l'égalité et le partage du travail domestique étaient des valeurs importantes pour eux et pour leur couple. Certains éprouvaient toutefois des difficultés à  définir concrètement comment se vivait cette égalité. En effet, le récit de leurs pratiques quotidiennes en matière de travail domestique et parental révélait l'illusion du partage égalitaire entre les deux parents. La notion d'égalité ne référait donc qu'à  la dimension identitaire sans concerner vraiment la dimension matérielle du travail.

Un père tenant un discours égalitaire souligne, par exemple, qu'un plus grand nombre de pères restent à  la maison avec leurs enfants : « ça doit pas être nécessairement la femme qui doit être au foyer, ça peut être l'homme, on a évolué comme société (12) ». Pourtant, malgré son discours égalitaire, les tâches domestiques sont plus souvent faites par sa conjointe. Le père en fait aussi, mais « il faut que je lui dise quoi faire », dit la mère.

Afin de dépasser cette posture identitaire égalitaire, nous avons demandé à  tous les parents rencontrés de décrire certaines routines (le lever, le retour de la garderie et le coucher) et de nommer la personne responsable d'une liste de tâches concrètes :

  1. Préparer les repas

  2. Nourrir les enfants

  3. Donner le bain des enfants

  4. Habiller les enfants

  5. Faire la lecture aux enfants ou leurs devoirs

  6. Jouer avec les enfants

  7. Sortir avec les enfants (ex. : au parc)

  8. Laver les planchers

  9. Laver les salles de bain

  10. Laver les vêtements et la literie

  11. Épousseter et ramasser

  12. Laver la vaisselle

  13. Entretenir l'extérieur (pelouse, pelletage...)

  14. Faire les travaux de maintenance (peinture, réparations mineures...)

  15. Faire les travaux de rénovation

En plus de cette liste de tâches concrètes, nous avons demandé aux parents rencontrés de nommer la personne responsable de tâches qu'on peut qualifier de plus invisibles (Kergoat 2004, p. 37) :

  1. Aller chez le médecin

  2. Prévoir les menus

  3. Prévoir les achats pour les enfants (vêtements, par exemple)

  4. Agir comme contact avec la garderie

  5. Prévoir les activités

  6. S'occuper des enfants lorsque la famille est à  l'extérieur de la maison

  7. Se lever en premier la nuit

  8. Se lever en premier le matin

  9. S'occuper des animaux de compagnie

Le récit concret du partage de ces différentes tâches faisait réaliser aux parents rencontrés que l'égalité dans leur couple n'était peut-être pas aussi complète qu'ils ne l'avaient d'abord affirmé et que les mères étaient responsables non seulement d'un plus grand nombre de tâches, mais aussi des tâches les plus récurrentes et souvent les plus invisibles.

De plus, les deux parents d'un même couple proposaient généralement des récits distincts de leur histoire commune. Ce n'est pas tant la répartition des tâches qui était l'objet des écarts de représentations entre les parents, mais plutôt l'importance et la signification accordées à  chacune d'entre elles. Par exemple, les pères qui s'investissaient davantage dans des tâches traditionnellement masculines (réparations, rénovation, entretien extérieur ou gestion des équipements électroniques et de la voiture) voyaient ces tâches comme étant plus complexes ou demandant des connaissances et des compétences plus poussées que les tâches réalisées par leur conjointe. Chez certains de ces pères, la participation de leur conjointe à  des travaux extérieurs (comme la tonte du gazon ou l'aménagement paysager) était définie comme un loisir (« elle aime ça, ça lui fait faire de l'exercice ») (17) ou une activité accessoire, non essentielle (« je m'occupe de tout ce qui est à  l'extérieur, sauf les fleurs, ça c'est plus son trip ») (9).

Par ailleurs, le récit de ces pratiques a confirmé la persistance d'une séparation genrée des tâches domestiques déjà  documentée : peu importe le milieu économique, le statut d'emploi ou la scolarité, les femmes rencontrées sont plus souvent responsables du travail domestique intérieur alors que les hommes s'impliquent davantage à  l'extérieur de la maison (Kergoat 2004, p. 36). Une différence importante entre l'intérieur et l'extérieur est la fréquence d'accomplissement des tâches : celles se déroulant à  l'intérieur de la maison reviennent plus souvent sur une base quotidienne que celles exécutées à  l'extérieur.

La préparation des repas, la lessive et le nettoyage des salles de bain sont beaucoup plus fréquents que la tonte du gazon, par exemple. Les rénovations et les travaux plus « physiques » qui demeurent souvent la chasse gardée masculine demandent un investissement de temps intense, mais qui n'est pas récurrent et ne comporte pas la dimension de monotonie et de répétition associées aux tâches accomplies majoritairement par les femmes de notre enquête.

La tâche la plus souvent partagée entre les parents rencontrés, la préparation des repas, entre assurément dans cette logique : les deux conjoints apprécient la valorisation procurée par les repas qu'ils ont élaborés. Parmi les travaux domestiques réalisés à  l'intérieur de la maison, la préparation des repas est la plus valorisée, surtout lorsqu'elle est sous la responsabilité du père. Cette valorisation est plus évidente dans le cas des soupers, ce qui est encore plus vrai lorsque les parents rencontrés ont des invités ou durant la fin de semaine. Les soupers sont souvent les seuls moments en famille durant la semaine de travail : ils prennent une signification particulière et leur préparation est plus valorisée que d'autres tâches domestiques et parentales. En semaine, la période du « 5 à  7 » décrite par les parents est intense : retour de la garderie, jouer avec l'enfant, préparation du souper, bain, lire une histoire et coucher.

Quelques couples rencontrés séparent les soupers de semaine - faits par la mère et décrits comme étant peu élaborés - et les soupers de fins de semaine, plus gastronomiques et plus valorisés. Un père dans le domaine de la finance dit : « elle s'occupe de l'épicerie de base de la semaine, moi j'achète plus du luxe pour la fin de semaine (9) ».

Les déjeuners de semaine et les dîners, lorsqu'ils sont pris à  la maison, ne sont pas considérés de la même façon. Les premiers sont souvent pris en vitesse; ce moment est plutôt décrit comme une corvée, comme une course avant d'aller reconduire les enfants à  la garderie et d'aller travailler. Les déjeuners de fin de semaine ou de congé sont plus ludiques et plus souvent pris en charge par les pères. Un père ouvrier qui se lève tôt la semaine et quitte la maison avant que les enfants soient levés dit : « La fin de semaine, on laisse dormir maman, on descend en bas et on se fait des crêpes. » En contraste, les dîners de fin de semaine sont nommés par plusieurs mères comme étant leur responsabilité : « on mange des restes ou on se fait quelque chose de rapide (18) ».

À l'opposé, les travaux peu valorisés sont pris en charge par les femmes selon Kroska (2004, 901) comme la lessive ou le lavage des salles de bain et font rarement l'objet de félicitations. Il ne nous apparaît pas anodin qu'ils soient accomplis presque exclusivement par les femmes que nous avons rencontrées.

L'inégal partage du travail domestique est encore plus marqué lorsqu'on tient compte d'un des aspects les plus occultés de ce travail : la planification ou la « charge mentale ». En effet, les femmes et les hommes rencontrés sont très souvent en accord sur ce point : les femmes anticipent davantage les tâches à  accomplir, les planifient, les accomplissent ou les délèguent.

Même dans certaines situations où le père dit être responsable d'une tâche, il s'avère que sa conjointe est souvent en charge de la planification de celle-ci : deux pères ont raconté, par exemple, qu'ils faisaient les soupers, alors que leur conjointe faisait l'essentiel de la préparation la veille ou à  l'heure du dîner. Ces pères faisaient effectivement cuire ou réchauffer les aliments, mais qui avaient été préparés par leur conjointe la veille ou à  l'heure du midi (10 et 18). De la même façon, plusieurs pères disent aller faire les courses avec une liste préparée par leur conjointe ou aller chez le médecin avec les enfants, encore une fois avec une liste de questions écrites par la mère.

Il ne s'agit pas de décrire les pères rencontrés comme des hommes désengagés de l'espace domestique : au contraire, ils se font pour la plupart un honneur de s'impliquer dans la maison, souvent sans avoir eu une éducation qui les prépare adéquatement ni de modèles paternels égalitaires. Un père ouvrier dans la région de Québec dit :

Mes parents m'ont élevé vieux jeu : mon père c'était le gars qui travaille, qui fait vivre sa famille. Ma mère, c'était à  maison. J'ai été élevé de même. J'ai été élevé que c'était la femme qui s'occupait de tout. Mon père, je le voyais rentrer à  la maison, son assiette était là . Le soir, ma mère faisait tout de A à  Z. Si on m'avait demandé à  18 ans ce que je voulais, c'était que quand je rentre le soir, l'assiette est sur la table. Dans ma tête c'était ça. Les pères s'impliquent plus maintenant... avant je sais pas si c'était mal vu, si c'était des jobs de femmes (18).

Les jeunes adultes d'aujourd'hui procèdent encore d'une ancienne division du travail inégalitaire dont ils n'ont pas pleinement conscience. Cela explique que malgré un désir d'établir des relations égalitaires, dans plusieurs cas, l'expérience des couples rencontrés est souvent la même : la mère planifie, prépare, délègue et exécute, le père agit comme soutien. C'est dans ce contexte que les décisions entourant le partage du congé parental sont prises (Tahon 2003, p. 40-41).

Le partage du congé : des motivations aux décisions

Nous l'avons vu précédemment dans la revue de la littérature scientifique, de nombreux éléments interviennent dans la décision des femmes et des hommes de prendre un congé de maternité ou de paternité et dans le partage des congés parentaux entre les parents. Des études quantitatives ont été menées en Suède afin de comprendre quels facteurs socioéconomiques peuvent jouer un rôle dans la prise du congé par les pères et le partage entre les parents. La nature qualitative de notre propre enquête et la taille réduite de notre échantillon ne permettent pas de comparer nos données avec celles de ces recherches menées en Suède à  partir d'échantillons probabilistes de plusieurs milliers d'individus. De plus, les conditions de l'exercice de la paternité et de la maternité en Suède sont passablement différentes de celles du Québec. Les études suédoises nous permettent tout de même de comprendre la parentalité dans un contexte de politiques familiales égalitaires qui ont inspiré le Québec.

Il faut d'abord préciser que tous les pères rencontrés ont utilisé l'ensemble du congé de paternité auquel ils avaient droit, de trois ou cinq semaines selon le régime choisi. Trois pères ont eu droit à  une ou deux semaines supplémentaires de congé de paternité offert par leur employeur. Trois autres pères ont pris entre une et trois semaines de congé parental dans le cadre du RQAP « pour pouvoir passer du temps en famille » comme l'ont souvent mentionné les parents interviewés (7, 9, 10, 19, 25). Quatre pères ont pris un long congé parental : un de trois mois pour chacun de ses trois enfants, deux de trois mois et un de sept mois.

Une particularité notable, les hommes rencontrés les plus fortement engagés dans le travail parental et domestique, c'est-à -dire ayant fait des arrangements d'articulation travail-famille après le congé parental et pris une large partie du congé parental, n'étaient pas les pères les plus scolarisés et occupant les emplois les plus prestigieux de notre échantillon.

La scolarité comme facteur d'implication des pères

Parmi les quatre pères ayant pris des congés parentaux longs, trois d'entre eux avaient une scolarité secondaire ou professionnelle. Parmi les pères rencontrés qui ont fait des études de cycles supérieurs (Maîtrise, doctorat et postdoctorat), un seul a pris un long congé parental (trois mois pour chacun de ses trois enfants). Celui-ci occupe un poste de direction dans un milieu professionnel où les heures travaillées sont souvent longues. Il a pris seulement quelques jours de vacances à  la naissance des enfants et prenait ses congés à  la fin des congés parentaux. Il est notable que son premier congé parental ait été pris avant l'entrée en vigueur du RQAP.

C'est vraiment l'aspect prendre une pause et avoir du temps. C'était plus important d'être avec mon enfant que de recevoir mon plein salaire. C'était pas le RQAP, c'était un peu plus compliqué, mais c'était important pour moi de le faire (8).

Les autres pères rencontrés ayant une formation universitaire équivalente ou moins longue, mais avec des emplois prestigieux qui demandent un grand investissement de temps de la part de l'employé, ont eu recours au congé de paternité, mais ont utilisé très peu de semaines de congé parental. Un seul père avait un diplôme de troisième cycle universitaire; il n'a pas eu recours au congé parental.

La situation financière du couple

Le RQAP permet aux parents de prendre un congé parental qu'ils n'auraient souvent pas eu les moyens de s'offrir. Un père d'un enfant dit :

Pendant le congé on se disait à  chaque jour « comment on aurait fait sans ça ». Surtout que notre enfant avait besoin d'un suivi à  chaque semaine à  l'hôpital, en plus des suivis de la mère. C'était un gros stress, un travail à  temps plein juste de gérer les rendez-vous. Les cinq semaines ont vraiment servi (27).

La dimension financière est souvent nommée par les parents rencontrés comme un facteur important dans le partage des congés. Nous savons que dans 70 % des couples québécois, les femmes gagnent moins que leur conjoint (CSF2014, p. 10). Cette disparité économique s'observe éga- lement chez les parents rencontrés qui ont souvent conclu que, pour des raisons pécuniaires, il était plus avantageux pour eux que la mère prenne l'essentiel du congé parental, amputant ainsi le budget familial de façon moins importante que si le père était resté en congé parental pour une période d'une durée semblable.

Un seul couple aurait eu un avantage financier évident à  ce que le père prenne un long congé parental : il avait un salaire dépassant 100 000 $ par année et il aurait pu bénéficier d'un congé parental à  plus de 90 % de son salaire en raison des bonifications offertes par l'employeur. Pourtant, il n'a pris aucune journée de congé parental.

Parmi les quatre couples où le père a pris un long congé parental, un père touchait un salaire inférieur de moitié à  celui de sa conjointe; un autre, militaire, bénéficiait d'une majoration du RQAPoffert par la Défense nationale et avait un salaire d'environ le double de celui de sa conjointe; un troisième avait un salaire légèrement supérieur à  celui de sa conjointe : le couple avait fait le choix de réduire son train de vie pour que les deux parents soient le plus longtemps possible avec leurs enfants. Le quatrième occupait un poste de direction et les deux parents touchaient un salaire dépassant largement le taux maximal de remplacement du revenu du RQAP. Ce père trouvait important de passer plusieurs mois avec ses enfants, malgré la baisse de revenu familial que son congé occasionnait. Sa conjointe avait toutefois elle aussi un revenu important, ce qui permettait d'amortir la perte de revenu. Dans le cas des parents rencontrés dans notre enquête, ce ne sont donc pas des arguments économiques qui ont mené quelques hommes à  prendre de longs congés, mais bien plus une volonté très forte d'être présents auprès de leurs enfants dans les premiers mois de leur vie.

En réalité, l'argument financier est plutôt avancé pour justifier l'absence de partage de congé parental. Dans un des couples de jeunes professionnels qui n'a pas partagé le congé parental, la mère affirme qu'elle aurait aimé que son conjoint ait la possibilité de prendre un peu de temps seul avec l'enfant, mais que des contraintes financières l'en ont dissuadé. « Je me mets à  sa place, j'aurais voulu la même chose, mais c'était pas avantageux [financièrement] pour lui et il aimait mieux ça de même (4). » Le père corrobore, affirmant qu'il aurait pris un congé parental si leur situation financière leur avait permis de le faire, mais que quelques semaines l'auraient satisfait. Parlant d'une situation plus favorable, où le couple aurait été mieux nanti, il dit : « Dans un monde idéal, j'aurais peut-être pris quatre ou cinq semaines, j'aurais laissé le principal pour la mère (7). » On observe donc un double usage de l'argument économique utilisé pour expliquer l'absence de partage, mais aussi pour justifier un partage du congé qui n'aurait, somme toute, pas tellement été différent même si la situation économique avait été plus favorable.

En somme, dans la majorité des couples rencontrés, c'est la mère qui a pris un long de congé parental. Les conséquences économiques d'une telle décision peuvent être sérieuses : l'absence prolongée d'une mère de son milieu de travail peut réduire ou retarder les possibilités d'avancement, diminuer ses prestations de retraite, bref nuire à  sa sécurité et son autonomie économiques.

Par ailleurs, pour les quelques couples en situation de grande précarité économique, l'aspect pécuniaire est également central. D'abord, l'articulation travail-famille prend une tout autre signification pour les parents, souvent des mères monoparentales, qui occupent des emplois payés au salaire minimum n'offrant que des horaires atypiques et des quarts de travail coupés. Une mère travaillant dans le commerce de détail affirme : « Je suis obligée de travailler 40 heures, parce que moins que 40 heures, je perds mon statut d'assistante-gérante et je tombe au salaire minimum. Temps partiel au salaire minimum, ça me tente pas (15). »

Les enjeux financiers dans ce contexte sont d'abord d'arriver à  boucler le budget du mois et de trouver des solutions de garde en dehors des heures typiques d'ouverture des services pour enfants. Souvent, ces mères n'ont tout simplement pas les moyens d'arrêter le travail et de profiter d'un congé maternel et d'un congé parental, car le taux de remplacement du revenu ne leur assure pas le minimum vital. L'aide sociale est parfois plus avantageuse que le RQAPpour des mères en situation de pauvreté ayant de jeunes enfants.

Le secteur d'emploi et le rapport à  la « carrière »

Les études sur la Suède démontrent que le secteur et le milieu d'emploi ont une influence certaine sur la prise des congés parentaux. Trois des quatre pères de notre échantillon qui ont pris un congé parental long occupent des emplois d'ouvriers dans des secteurs d'industrie lourde où la main-d'œuvre est très majoritairement masculine et de techniciens dans le milieu des services où la main-d'œuvre est mixte. Il ne s'agit pas de postes prestigieux ni d'emplois demandant de longues années d'études. Les pères rencontrés ayant les revenus les plus élevés et une scolarité plus poussée ne sont donc pas ceux qui ont le plus partagé les congés parentaux.

Un de ces couples a fait des choix qui ont occasionné une diminution du revenu familial afin de se concentrer sur la vie en famille. Dans ce couple, le père a choisi un emploi avec une semaine à  temps plein comprimé en trois jours afin de lui permettre de passer quatre jours avec sa famille et d'éviter la garderie à  ses enfants. Ouvrier qualifié dans l'industrie lourde, ce père est l'un des rares que nous avons interviewés à  avoir organisé son horaire de travail pour mieux articuler son travail rémunéré avec les exigences familiales (12).

Sa conjointe a également modifié son horaire pour travailler moins, entre un et quatre jours par semaine, exclusivement durant les jours de congé de son conjoint. Leurs enfants d'âge préscolaire ne vont donc pas à  la garderie. La mère assume donc une plus grande part du travail domestique et parental que son conjoint, même si ce dernier s'investit beaucoup plus dans le travail domestique et parental que la majorité des hommes rencontrés.

Les autres personnes rencontrées qui limitaient leur investissement professionnel en réponse aux contraintes de l'articulation travail-famille étaient presque exclusivement des femmes : emploi à  temps partiel, changement d'emploi vers un domaine demandant des heures moins longues ou mutation vers un poste offrant des horaires plus réguliers : deux ont pris des semaines de quatre jours (1 et 6), quatre ont changé d'emploi pour avoir des conditions plus adaptées à  la famille (4, 14, 21 et 23), une a réduit considérablement ses heures de travail rémunéré (3), une autre prévoit demander une semaine réduite de trois jours (22). Un père a pris un poste dont l'horaire est condensé sur trois jours (12).

L'attachement très fort des hommes à  leur emploi est nommé comme un élément qui viendrait justifier le plus faible investissement des hommes dans l'espace domestique et le travail parental. Une mère de trois enfants considère que des hommes de son entourage privilégient encore beaucoup leur carrière, au détriment de leur vie familiale. Elle estime que certains pères se servent de leur carrière comme d'un prétexte pour ne pas s'impliquer davantage dans le travail domestique et familial.

J'ai des amis dont le père travaille six jours semaine, jusqu'à  tard le soir, il rentre et le bébé est couché. Il voit son enfant quelques minutes le matin ou sinon un jour semaine, et juste s'il n'a pas d'autres activités (3).

De même, l'investissement du père dans la sphère professionnelle est un frein invoqué à  de nombreuses reprises par les parents rencontrés pour expliquer la prise du congé parental par la mère. Si ceux-ci pensent que les milieux de travail ont accepté assez rapidement le congé de paternité, ils croient également que les pères voulant partager le congé parental plus équitablement avec la mère sont mal perçus. Un père qui travaille dans une petite entreprise de services professionnels pense que son employeure n'aurait pas apprécié qu'il demande un long congé parental : « Ma patronne était elle-même en congé de maternité lorsque j'ai pris congé. Je travaille dans une petite équipe, donc quand quelqu'un est absent les autres doivent se partager le travail (28). »

Il mentionne que ce n'est pas dans la culture québécoise que les pères prennent un long congé parental, contrairement à  la Suède, qu'il cite en exemple : « si ça avait été culturel, il n'y aurait pas eu de problème [à  prendre un plus long congé]. C'était comme culturel, honnêtement j'ai pas pensé à  prendre vraiment plus. Ça aurait été l'fun d'en prendre plus, je sais qu'en Suède ils le font, mais on s'est pas posé la question (28). »

À l'inverse, la difficulté d'obtenir un long congé parental a peu été mentionnée pour les mères : il semble que ce soit une évidence, une réalité admise pour les employeurs que les mères prennent un congé maternel et parental d'un an au total.

L'importance accordée à  leur carrière et à  leur milieu professionnel en général par les pères fortement scolarisés n'ayant pas pris de longs congés parentaux est centrale dans leurs récits. Aucun de ces pères n'a fait état de difficultés particulières à  la prise du congé de paternité de quelques semaines. Ils insistent, par contre, de façon récurrente, sur l'intensité de la planification professionnelle précédant leur congé de paternité, s'organisant pour terminer le maximum de dossiers, laisser la charge de travail la plus petite possible à  leurs collègues (9, 10, 28). Bref, que leur absence soit aussi peu remarquée que possible. À ce sujet, un père qui travaille dans le domaine de la santé dit : « Ils savent que cinq semaines après, on est revenu... ça fait pas un gros manque. Il y a beaucoup de monde sur appel aussi, quand la main-d'œuvre est abondante, c'est vraiment pas un problème (19). »

Les femmes travaillant dans des milieux moins prestigieux, moins rémunérateurs, dans des équipes plus masculines et surtout avec des collègues plus âgées ont affirmé devoir composer avec un milieu professionnel parfois carrément hostile à  l'articulation travail-famille dont elles sont les principales responsables après un long congé parental.

Une mère dans le domaine de l'enseignement dit :

Je trouve qu'on a un beau congé, mais le retour est difficile après. On a un an où on peut vraiment prendre soin de notre enfant et du jour au lendemain on retourne au travail. Ma fille a été malade souvent cet hiver, j'ai essayé de m'absenter le moins possible, je demande aux gens de venir la garder à  la maison, mais t'as toujours l'employeur qui vient souligner qu'on manque beaucoup (21).

Elle affirme trouver très difficile d'être parent en raison de la structure de travail actuelle : « il faudrait pas que ton enfant soit malade, mais en étant à  la garderie, il est toujours malade (21). » Une femme travaillant dans le domaine de la vente au détail établit un lien entre son arrêt de travail et les fréquents commentaires négatifs sur sa maternité et les congés dont elle se prévalait. Elle affirme s'être fait dire notamment qu'elle était paresseuse, profitait du système, devrait rester à  la maison et volait le travail de quelqu'un d'autre.

Je travaille dans un milieu où tout ce qui compte c'est la performance. Il y en a aucune conciliation travail-famille, aucune considération pour les employés. Et je travaille avec une vieille génération. Je me fais dire « vous autres les hosties avec votre hostie de RQAP». Mes collègues me disent que c'est pas juste, ils me disent que je suis pas en congé de maternité, ils me disent que je suis en vacances. Le RQAP, ils l'ont de travers (15).

Une seule mère rencontrée a exprimé de grandes ambitions professionnelles et souhaitait davantage partager le congé parental avec son conjoint pour ne pas quitter trop longtemps le marché du travail.

On s'était entendu qu'on partagerait, mais que j'allais attendre de faire des semaines de maternité obligatoire, les semaines que la femme a pas le choix de prendre et qu'après on verrait. Je suis plus attachée à  mon emploi et je voulais m'en éloigner le moins longtemps possible (17).

Si pour la majorité des femmes rencontrées, la prise du congé parental semble aller de soi, les conséquences à  plus long terme sur la responsabilité de l'articulation famille-travail sont plus lourdes à  porter.

Certains pères ont exprimé des appréhensions à  demander un long congé parental. Toutefois, un seul d'entre eux raconte avoir reçu des commentaires négatifs dans son milieu de travail après son congé parental de trois mois. Il affirme que sa supérieure directe lui a reproché de prendre un congé parental pour une période aussi longue : « elle me laissait partir, mais c'est bien parce qu'elle était obligée. Si elle avait eu le choix, je suis pas sûr que j'aurais pu partir ». Le père aurait voulu scinder son congé parental en deux périodes, ce que son employeure a refusé : « elle m'a dit, si tu pars, tu pars pour tout ton congé, tant qu'à  jongler, j'aime mieux jongler une fois (17) ». Ce père croit que l'accueil plutôt négatif auquel il a eu droit en annonçant son congé parental est lié au fait qu'il est un homme. Il dit :

Les femmes partent en congé de maternité et on s'attend à  ce qu'elles soient parties un an. Je pense que ça va de soi dans la tête des gens que les femmes prennent un long congé, tandis que pour un homme, c'est pas encore reconnu (17).

Pourtant son équipe de travail est mixte et l'équipe de gestion est majoritairement féminine. Toutefois, il considère que les femmes avec qui il travaille, même si elles sont très investies dans leur carrière, prennent de longs congés. À l'inverse, les hommes de son équipe de travail qui ont eu un enfant avant lui ont pris le congé de paternité, mais très peu de congés parentaux. Il affirme avoir été le premier homme de son milieu de travail à  s'absenter longtemps pour un congé parental.

L'influence des congés parentaux sur le partage du travail domestique et parental

L'arrivée des enfants dans les couples rencontrés a amené les hommes à  accomplir plus de travail domestique, sans que l'écart avec leurs conjointes diminue. En d'autres mots, la parentalité amène un lot de tâches supplémentaires pour les deux conjoints, c'est-à -dire tout ce qui a trait aux soins aux enfants, mais n'affecte pas de façon notable la répartition des tâches au sein du couple. Si les hommes augmentent le temps accordé au travail domestique, les femmes connaissent une croissance analogue de leur charge de travail, sinon plus, ce qui est confirmé par les données de l'Institut de la statistique du Québec présentées dans le premier chapitre (Lacroix 2013). Si cette situation correspond, statistiquement, à  l'ensemble des nouveaux parents, il semble qu'elle soit plus marquée encore chez les couples rencontrés qui n'ont pas partagé du tout le congé parental et qui avaient un partage inégalitaire du travail domestique avant l'arrivée des enfants.

Les mères qui prennent la totalité du congé parental

Le tiers des mères rencontrées qui ont pris l'essentiel ou la totalité du congé parental relatent que leur long congé a produit un renforcement des inégalités dans le partage des tâches domestiques. Une d'entre elles, travailleuse dans le domaine de la santé, se souvient en ces termes :

J'étais en congé, lui il travaillait. J'avais plus de temps. Mais j'allaitais, donc je prenais toutes les nuits... j'en ai trop pris. Ce qui a fait que quand je suis retournée travailler, j'ai continué la même chose et lui s'en rendait pas compte finalement, parce que je lui ai jamais rien demandé (21).

Ce n'est qu'une fois épuisée et obligée de prendre un congé de maladie prolongé que l'inégal partage du travail domestique dans ce couple a été l'objet de discussions.

D'autres femmes rencontrées ont également exprimé avoir vécu une grande détresse après la naissance de leur enfant. Cette détresse prenait différentes formes : dans quelques cas, il s'agissait d'une dépression post-partum et dans d'autres cas, il s'agissait d'un sentiment de solitude lors du long congé parental.

Chez une autre mère, qui travaille dans le domaine de l'enseignement, le sentiment de détresse était aussi lié à  l'absence presque complète de partage du travail domestique et familial entre les parents. Cette situation l'a épuisée au point qu'elle a dû demander un arrêt de travail, quelques semaines seulement après son retour en emploi (21). Ce cas révèle les conséquences possibles d'une absence presque complète de partage du travail domestique et familial.

Dans ce couple, la naissance du premier enfant a cristallisé une division inégalitaire du travail domestique et familial qui était moins accaparante avant l'arrivée de l'enfant. Le père s'occupait de l'épicerie, des comptes, de l'entretien de l'automobile et de l'équipement électronique, en plus de planifier les activités du couple. Sa conjointe était responsable du travail domestique : rangement, lavage, époussetage, lessive, etc. La naissance de l'enfant n'a pas provoqué de modification dans la répartition de ces tâches. Toutefois, le temps consacré aux tâches domestiques par la mère a été multiplié et les soins à  l'enfant se sont rajoutés comme responsabilité presque exclusivement maternelle.

Le couple a décidé que la mère prendrait presque tout le congé parental, « donnant » deux semaines au père pour allonger ses vacances estivales et passer plus de temps en famille. Le long congé pris par la mère a eu pour effet de consacrer cette dernière comme parent principal. Le bébé allant plus spontanément vers sa mère, puisqu'elle était la plupart du temps seule avec lui, le père a de moins en moins participé aux soins de l'enfant.

Au terme du congé parental, les habitudes étaient prises : la mère s'occupait de la majorité du travail domestique et de la presque totalité du travail parental, ce qui s'est poursuivi lors de son retour en emploi.

Une autre mère, qui a aussi pris le congé parental au complet, ajoute au sujet du partage des tâches :

La semaine, il y a pas vraiment de partage à  avoir. Outre ça, il vient d'une famille plutôt traditionnelle. Il en fait plus que son père faisait, mais c'est pas un partage égalitaire. Soit je me tais et j'évite la discussion que ça me tente pas d'avoir, soit je le dis et ça le frustre. On a eu plusieurs discussions sur le sujet, mais ça a pas vraiment changé (16).

Cette expérience a des échos dans plusieurs récits : les longs congés pris par les mères contribuent à  légitimer et à  rendre invisible un partage inégal, même une fois les deux parents de retour sur le marché du travail. En effet, lorsque les mères qui ont pris la totalité du congé parental retournent sur le marché du travail, certaines parlent d'une période d'adaptation difficile, car elles sont considérées comme les principales responsables du travail domestique et des soins aux enfants (1, 4, 6, 13, 14, 21, 22). Un des effets pervers des longs congés de parentalité pris exclusivement par les mères est en somme le renforcement des rôles traditionnels, même lorsque le discours des parents concernés est égalitaire.

Même lorsque les parents réorganisent la répartition des tâches entre les conjoints, les pères rencontrés continuent généralement de faire moins de travail domestique. Pourtant, dès qu'ils assument quelques nouvelles tâches, les mères ont tendance à  affirmer que le partage est désormais équitable. Dans un cas, la mère affirmait : « Maintenant, il donne le bain pendant que je fais la vaisselle, il fait l'épicerie pendant que je fais le ménage, maintenant c'est vraiment 50-50 (21). » Or, un peu plus tard au cours de l'entretien, nous apprenons que la mère est aussi la responsable exclusive de l'ensemble du ménage, de la lessive, de l'époussetage, en plus des soins à  l'enfant à  l'exception du bain.

Une autre mère travaillant dans le domaine des assurances raconte : « J'en faisais plus durant mon congé, j'avais quand même un peu plus de temps, mais pas tout non plus, je suis pas une femme au foyer. » Une fois le travail recommencé elle considère que le partage s'est établi « pas mal moitié-moitié. Il y en a pas un qui en fait plus que l'autre (17) ». Pourtant, malgré cette perception de partage égalitaire, les deux conjoints racontent que la mère est la responsable de l'ensemble du travail invisible : visites chez le médecin, prévision des menus de la semaine, achats des vêtements et contacts avec la garderie.

Même après avoir pris conscience de l'inégal partage du travail domestique et parental, la contribution majorée des hommes demeure largement inférieure à  celle de leurs conjointes, mais elle fait croire à  un état d'égalité atteinte dans le couple.

Selon les récits d'une mère qui travaille dans le domaine de l'enseignement et de son conjoint qui partageait très peu le travail domestique et parental, l'implication supplémentaire du père, après une discussion de couple, s'est toujours accomplie en présence de sa conjointe, ne lui libérant donc pas de temps libre (21). Pourtant, les deux parents avaient l'impression que son implication rendait plus égalitaire leur partage du travail domestique. Dans les faits, le père était effectivement plus présent, mais ne prenait la responsabilité d'aucune tâche supplémentaire.

Chez ces couples, la division du travail domestique et familial demeure inégalitaire. Qu'en est-il chez les couples où le père a pris un congé parental plus long?

Les pères qui partagent les congés parentaux et la division du travail domestique

Les récits des parents ayant davantage partagé le congé parental diffèrent de ceux des mères ayant pris la totalité de ce congé. Par exemple, questionné sur sa participation aux travaux domestiques et familiaux, un père ouvrier affirme que ses longs congés parentaux (trois mois et quatre mois pour ses deux derniers enfants) ont modifié son implication. « En étant plus présent à  la maison, je me rends compte de la tâche qu'il y a à  accomplir avec le temps que les trois enfants demandent, je vois vraiment que plus on donne de temps aux enfants, moins on en a pour les tâches domestiques (12). »

En étant plus présent à  la maison, il affirme être aussi plus capable de voir les mécanismes (les « réflexes », les habitudes, etc.) à  travers lesquels les inégalités dans le partage du travail domestique et parental se maintiennent :

Je me suis rendu compte en étant longtemps à  la maison à  quel point on peut être injuste dans le partage des tâches des fois. C'est facile de voir la vaisselle à  ramasser, de se fermer les yeux et de la laisser là  et ça finit que c'est toujours la même personne qui la ramasse (12).

Le long congé lui aurait permis de comprendre que son implication devait être plus importante que celle qu'il avait prévue originalement, parce que des enfants demandent du temps et de l'énergie. Un autre père, lui aussi ouvrier, compare son congé parental de quatre mois à  son premier congé de paternité de cinq semaines :

Quand tu passes cinq semaines, tu vois ça comme des grosses vacances. Tu te promènes dans la famille, t'es pas beaucoup à  la maison. En quatre mois, j'ai vu c'était quoi la vie à  la maison... tabarouette! (18).

On peut faire l'hypothèse que la prise de conscience de la charge de travail associé à  la présence de jeunes enfants est plus grande lorsque les pères passent du temps seuls avec leurs enfants. Or, la majorité des congés de paternité et parentaux pris par les pères se déroulent en même temps que ceux des mères. Rappelons les données du Conseil de gestion de l'assurance parentale : 83 % des pères ayant choisi le régime de base et 67 % ayant opté pour le régime particulier ont été en congé exclusivement en même temps de la mère (Léger Marketing 2011, p. 34-35). Est-ce que les pères rencontrés qui ont passé du temps seuls avec leurs nouveau-nés, sans la présence de la mère, ont développé des pratiques de partage du travail domestique et parental plus égalitaires avec leurs conjointes ?

Le couple rencontré dans lequel le père a pris un congé parental de sept mois, dont cinq mois passés seul avec son enfant, constitue une base d'observation intéressante pour réfléchir à  cette question. Le père affirme d'emblée que s'occuper de son bébé était la partie la plus facile de son travail lorsqu'il était seul avec son enfant. Il avait plus de difficulté à  articuler les soins du bébé avec ses propres besoins en repos et la réalisation du travail domestique. Ce dernier est d'ailleurs largement externalisé par ce couple : ils embauchent une « femme de ménage » pour le « frottage » et confient les travaux d'entretien ou de réparation à  des amis ou des employés. Le partage du travail domestique et parental est ainsi en partie contourné par le report sur des tierces personnes.

Dans son entourage, il est le seul père à  avoir pris un long congé parental. Sa perception de la charge de travail que nécessitent les soins d'un nouveau-né a grandement changé avec son long congé :

J'ai beaucoup de respect pour ceux qui font ça. S'occuper d'un enfant à  journée longue, c'est comme si t'avais un client toute la journée ! Il arrête pas ! Il dort, mais à  des moments où lui ça lui tente, pour une durée indéterminée... Il demande de l'attention constante (17).

Certains de ses commentaires rejoignent ceux exprimés par d'autres pères rencontrés, notamment en ce qui a trait au sentiment de manque de préparation du père avec un bébé naissant : « il demande de l'attention constante et peut donner rien en retour. Il est très limité... je pense que c'est ça qui est difficile pour les pères en général (17). »

Plusieurs pères rencontrés ont affirmé s'être sentis dépassés et inutiles en prenant le congé de paternité dès la naissance de l'enfant. Ils se souviennent de leur rôle durant cette période comme soutien technique auprès de la mère plutôt qu'en dispensateur de soins eux-mêmes. Ils ont pour la plupart raconté qu'ils étaient responsables de l'essentiel du travail domestique durant cette période, la mère étant non seulement occupée par l'allaitement, mais aussi à  se remettre physiquement de neuf mois de grossesse et de l'accouchement.

Un père qui travaille dans le milieu de la santé dit : « le rôle de la mère est vraiment important comparé au père. Dans le fond, la mère allaite et le père fait le reste (10). » Il semble pourtant que les hommes rencontrés n'étaient pas responsables de l'ensemble du travail domestique durant cette période : d'abord, leur conjointe y participait toujours activement et les nouveaux parents recevaient souvent beaucoup d'aide de la part des grands-parents, particulièrement des grands-mères.

Le père d'un enfant, travaillant comme professionnel en administration, dit à  ce sujet : « D'habitude, la mère maternelle est plus présente que la mère paternelle... on a pris une décision d'affaires de déménager proche de ses parents à  elle (9). » Un père qui, de son propre aveu, assume une très faible portion du travail domestique et familial dit à  propos de ses parents :

Ils sont tout le temps disponibles pour peu importe de ce qu'on a besoin. Ma mère s'arrange pour voir les enfants à  chaque semaine. Elle planifie des activités avec eux tous les samedis. Elle nous donne un break un peu (26).

Une mère qui vit avec un père souvent absent dit : « Ma mère vient m'aider, elle vient chez nous pendant le jour et fait tout, tout, tout. Elle fait la bouffe, le ménage, s'occupe des animaux... Je suis chanceuse, j'ai aucune envie de quitter, je peux pas me passer de ça (16). » Une autre mère observe : « Les gars qui sont comme ça, je les vois qui sont encore très couvés par leur propre maman. Dès que leur conjointe a quelque chose, ils vont toujours chez la mère, ils amènent le bébé chez leur mère, c'est la mère qui s'en occupe (24). »

Il subsiste donc aussi une certaine sous-estimation du travail gratuit des autres femmes des familles qui soutiennent les nouveaux parents. La division sexuelle du travail s'organise aussi de manière intergénérationnelle et la participation des jeunes pères est parfois allégée par le soutien de leurs mères et de leurs belles-mères.

En somme, durant la première année de vie de l'enfant, le partage du travail domestique et familial entre les parents rencontrés a souvent suivi des phases comparables. D'abord, durant les premières semaines de vie du nourrisson, qui concordent presque toujours avec le congé de paternité, les pères se sont sentis « relégués » à  des tâches domestiques de soutien, telles que le ménage et la préparation des repas, pendant que la mère mettait davantage d'énergie aux soins à  l'enfant. Pour plusieurs pères, les contacts avec leur enfant durant cette période se résumaient à  changer des couches. Ils ont éprouvé une grande dévalorisation comme responsables de tâches qui sont souvent associées aux femmes : ménage, préparation des repas. Certains ressentaient presque de la jalousie par rapport à  leur conjointe qui allaitait, comme si elle était privilégiée par comparaison à  leur situation. Pourtant, les mêmes parents rapportent que ce sont essentiellement les mères qui se levaient la nuit durant les premiers mois. Plusieurs pères ont justifié cette situation en affirmant qu'ils ne se réveillaient pas la nuit et avaient de la difficulté à  se lever le matin.

Les données recueillies ne nous permettent pas de dégager des conclusions précises quant à  l'effet de la prise du congé parental du père seul avec son enfant sur le partage ultérieur du travail domestique et parental. En effet, il apparaît que le partage du travail domestique et parental nécessite une préparation qui débute bien avant l'arrivée des enfants. Il est par exemple intéressant de constater que les pères que nous avons rencontrés qui ont passé du temps seuls avec l'enfant n'ont pas constaté de lien entre leur participation au travail domestique et familial et leur long congé. En effet, un père ayant pris un long congé estimait que son implication dans la sphère domestique et familiale avait été plus grande lors de son congé parental, mais qu'elle n'avait pas perduré une fois son retour en emploi (17). Certes, le congé parental lui a permis de mesurer la quantité de travail qui devait être fait dans la maison, mais sa conjointe semble avoir repris beaucoup des tâches qu'il accomplissait lorsqu'il était en congé même si elle occupe aussi un emploi rémunéré.

Un autre père ayant pris des congés parentaux prolongés pour chacun de ses enfants estime que ce n'est pas tant la quantité de travail domestique et familial qui a été modifiée par la prise des congés, mais plutôt le lien avec ses enfants qui a été renforcé (8). Avec la présence prolongée du père à  la maison, les enfants ont développé le réflexe de le solliciter autant que la mère pour les besoins affectifs et les soins. Deux des trois autres pères qui sont restés longtemps à  la maison font également cette constatation.

En somme, si les pères que nous avons rencontrés n'ont pas établi de lien clair entre leur congé parental assez long et leur participation au travail domestique et familial, plusieurs mères ont, de leur côté, remarqué que leur présence prolongée dans l'espace domestique avait renforcé leur assignation au travail domestique et familial. Les conséquences d'un long congé parental peuvent donc être bien différentes pour les pères et les mères. Les congés des pères peuvent diminuer les inégalités entre les sexes en instaurant, même momentanément, un plus grand partage du travail domestique et parental, tandis que les congés prolongés des mères tendent plutôt à  renforcer les inégalités déjà  présentes avant l'arrivée des enfants dans le partage du travail domestique et parental.

Le partage des congés : un sujet rarement discuté

Les parents que nous avons rencontrés ont très peu discuté du partage des congés parentaux et se sont généralement très peu informés des modalités entourant le RQAP. Certains d'entre eux ne semblaient même pas savoir que le congé parental pouvait être partagé entre les parents et que deux régimes de congé existent (de base et particulier).

De façon générale, les parents d'un premier enfant n'avaient pas pris beaucoup de renseignements sur le RQAP avant la naissance. Le choix du régime de base a été fait « par défaut » pour reprendre les termes utilisés par les parents, et la mère a été le plus souvent la seule à  comprendre le fonctionnement du RQAPet à  choisir le régime de congé du couple.

En effet, les pères rencontrés affirmaient pour la plupart avoir délégué les choix concernant le congé à  leur conjointe, autant les modalités du partage que le choix du régime. Le moment où ils ont pris leur congé de paternité a généralement été décidé sans discussion. Les pères ont mentionné n'avoir pas ou très peu parlé du congé à  leur entourage, à  leurs collègues ou à  leur famille durant la grossesse. Ils n'ont, pour la plupart, pas cherché à  obtenir de l'information ou des conseils quant au moment de prendre le congé, au régime approprié à  leur situation, etc. Ils ont seulement consulté le site Internet du CGAP dans les semaines, voire dans les quelques jours précédant la naissance.

Les mères ont eu tendance à  s'informer davantage, surtout en discutant du congé avec leur réseau d'amies et leurs collègues durant leur grossesse. Toutefois, elles n'ont pas mentionné avoir discuté du partage du congé, la plupart considérant - encore une fois sans discussion avec leur conjoint - qu'elles prendraient l'essentiel du congé parental. Elles ont aussi consulté le site Internet du CGAP, mais pas de façon plus détaillée que leur conjoint ni beaucoup plus à  l'avance.

La plupart des couples rencontrés ont choisi le régime de base, qui permet un congé plus long, mais avec un taux de remplacement du revenu plus faible. Le régime particulier, qui permet un congé moins long, offre un taux de remplacement du revenu plus élevé. La principale raison invoquée pour justifier le choix du régime de base est la volonté de passer plus de temps avec l'enfant.

Une mère ayant plutôt opté pour le régime particulier a mentionné que le taux de remplacement du revenu plus élevé et la date de retour au travail ont influencé sa décision. Le père n'a pas été impliqué dans cette décision : il a demandé à  sa conjointe de choisir le régime, mais il croyait, par ailleurs, que le choix de sa conjointe ne déterminait pas le sien (10).

Les parents rencontrés affirment en majorité que la décision de partager ou non le congé parental « est venue naturellement » : même parmi les couples qui ont décidé de partager le congé parental, les parents font état de discussions très courtes. Cette idée que le consensus serait apparu « naturellement » est aussi bien utilisée par des parents qui ont partagé le congé parental que par ceux qui ne l'ont pas partagé, et renvoie surtout à  la croyance que le congé parental appartient d'office aux mères qui peuvent en « donner » au père. Dans certains cas, le père informait officiellement la mère qu'elle devait prendre la décision et qu'il s'en satisferait. Dans d'autres cas, aucune discussion claire n'a eu lieu sur le sujet.

Cette très faible présence de discussions semble aller de pair avec une réflexion très restreinte sur le rôle respectif des parents. La préparation à  la parentalité s'est résumée généralement aux cours prénataux (d'une à  six séances) suivis par les deux parents et à  certaines lectures faites essentiellement par les mères. Les parents rencontrés n'ont jamais fait état de discussions particulières sur les rôles qu'ils se voyaient jouer en tant que parents, leurs responsabilités, le partage pratique du travail domestique et parental, etc. Il semble que la plupart de ces parents aient peu discuté de leur avenir avec un enfant, prévoyant « apprendre sur le tas » comme le disait une mère rencontrée.

Les mères estiment souvent avoir davantage parlé de leur future maternité avec leurs amies et collègues qu'avec leur conjoint. Les pères rencontrés, quant à  eux, ont généralement peu ou pas parlé de leur paternité à  venir avec les amis ou les collègues déjà  pères. Ceux qui ont parlé un peu de la paternité avant la naissance de leur enfant affirment l'avoir fait sous un angle plutôt administratif : à  quel moment prendre le congé, quelles démarches faire auprès des ressources humaines, etc.

Deux couples sur quatre ayant partagé le congé parental pour de longues périodes ont fait état de discussions détaillées sur les façons de partager le congé. Bien que la plupart des pères soient allés chercher des informations sur le RQAP, un seul a parlé d'une démarche exhaustive : lectures, simulations de revenu selon les congés pris, appels répétés au RQAP. Il s'agit du père de trois enfants ayant pris plusieurs mois de congé parental. Il a dit avoir consulté à  plusieurs reprises le site Internet du RQAPet avoir apprécié les informations présentées. Il se souvient aussi d'avoir eu de très bons contacts avec les personnes-ressources avec qui qu'il a communiqué lorsque le site Internet ne pouvait répondre à  toutes ses questions (12).

Les discussions sur le partage du congé parental ont donc été souvent très courtes, voire absentes. Il semblait subsister l'idée, chez les parents rencontrés, que le congé était d'emblée la responsabilité de la mère.

Des représentations inégalitaires des rôles parentaux

Malgré une impression d'égalité au sein des couples rencontrés, nous avons observé que la division effective du travail domestique et familial est encore très genrée. Cette contradiction ne se comprend que si on interroge les croyances sur lesquelles elle s'appuie. En effet, l'assignation des femmes au travail domestique et parental repose sur un bagage culturel historique qui présente ce lien comme relevant de l'ordre naturel des choses plutôt que comme une construction sociale et historique en transformation. Les participants à  notre enquête reviennent souvent sur cette supposée différence naturelle entre les sexes pour expliquer le partage inégal des tâches.

Ces croyances ont par ailleurs comme effet de rendre les mères responsables du maintien des inégalités et de minimiser toute la préparation à  la parentalité réalisée par les femmes uniquement. L'idée que les mères sont naturellement mieux outillées pour s'occuper de très jeunes enfants est maintenue - voire renforcée - par les modes actuels de préparation à  la parentalité qui contribuent à  entretenir l'idée que la mère demeure le premier parent et le père, le parent auxiliaire. Ce sont ces croyances qu'il convient de modifier si nous voulons que les hommes s'engagent davantage dans les soins aux enfants et le travail domestique et familial.

La naturalisation des compétences parentales

Plusieurs parents accordent des compétences parentales instinctives aux mères. Le fait que l'éducation ait pu jouer un rôle dans leur sentiment de compétence plus grand n'est pas nommé. Il s'agit bien pour certains, notamment ceux qui partagent le moins le travail domestique et familial et les congés parentaux, d'un trait naturel chez les femmes.

Une mère rencontrée dans un village près de Québec raconte qu'elle s'occupe de tout à  l'exception de la préparation du souper et de l'entretien extérieur qui sont plus les responsabilités du père. Parfois, le père fait aussi la vaisselle, « mais il est pas très bon là -dedans. Pour l'époussetage, j'ai de l'aide. Ma plus vieille m'aide, la plus jeune commence. J'ai beaucoup d'aide de mes filles. De papa aussi; si je lui demande il va le faire. Mais je suis rapide, je suis faite de même (14). » La naturalisation des compétences ne touche donc pas que les mères, mais leurs filles aussi.

Un père fortement scolarisé travaillant dans le domaine de la santé nous disait à  ce propos que les femmes ont « une compréhension qui va avec une sorte d'intuition sur ce qu'il faut faire ». La mère est celle qui a « l'instinct maternel, le mode d'emploi de son enfant (10) ». Un autre père, informaticien ayant pris seulement son congé de paternité, dit que non seulement la mère a cet instinct maternel, mais que l'enfant est plus porté à  aller vers sa mère que vers son père : « On tente comme on peut de faire ça équitablement, mais elle est à  un âge où elle sait plus ce qu'elle veut et ça tombe plus souvent sur le fait qu'elle veut être avec sa mère (11). »

L'idée même que le partage des tâches puisse être marqué par une éducation différenciée selon le sexe a été soulevée par un seul père qui disait avoir été élevé dans un contexte de division sexuelle du travail très marquée (18). Il s'interroge sur le fait que son éducation ait pu l'amener à  adopter des pratiques de division du travail domestique et familial très genrées.

Cette éducation différenciée pérennise des normes liées à  la parentalité, particulièrement pour les femmes qui doivent composer avec des attentes parfois contradictoires.

Les normes de la bonne mère et la préparation à  la parentalité

Les femmes sont l'objet de plusieurs discours contradictoires entourant la maternité et la vie professionnelle : deux espaces dans lesquels elles doivent faire bonne figure et pour lesquels elles se forment activement. Inversement, la préparation à  la parentalité des pères était minimale.

Plusieurs femmes rencontrées adhéraient à  l'idéologie de la maternité intensive (intensive motherhood) (Quéniart et Vennes 2003; Hays 1996), selon laquelle une bonne mère se dévoue entièrement à  ses enfants et est en mesure de tout accomplir seule. Une mère qui était seule lors de son premier accouchement et qui vit avec un conjoint souvent absent affirme :

On dirait que la maternité c'est pesant pour les filles. Le congé parental, quand c'est juste les filles qui le prennent, on dirait qu'elles sont plus épuisées, même si elles sont à  la maison. Je me suis sentie comme ça, j'ai des amies qui se sont senties comme ça, mais il y a des gars qui comprennent pas (16).

Une mère dans un milieu populaire dit :

On veut être des germaines, on veut tout faire, on veut être des wonder women. On a beau lire plein d'affaires, on a l'impression qu'on doit tout faire. La culpabilité, on carbure à  ça. On veut toujours en faire plus. Une maman c'est comme un gros agenda qui roule 24 heures sur 24 (15).

Cette exigence de performance maternelle prend plusieurs formes et a des conséquences sur la santé mentale des femmes rencontrées. Dans un couple où le père a pris l'essentiel du congé parental, le congé a été devancé et allongé par le fait que sa conjointe a pris la décision de retourner au travail plus rapidement que prévu à  la suite d'une dépression post-partum qu'elle a décidé de traiter en retournant plus tôt en emploi. Cette mère trouvait difficile de rester à  la maison, éloignée du travail. La transgression des attentes sociales entourant la présence des mères avec les enfants en bas âge a été difficile pour elle :

Les gens écrivaient sur Facebook « Quoi ? Déjà  ? Il a quel âge ? ». Je répondais qu'il avait cinq mois et qu'il allait rester avec son père; « ah, au moins ». Je me suis dit que j'allais partir un club de mères indignes parce qu'elles décident d'avoir une carrière. Parce que bien entendu, si tu restes pas douze mois à  la maison à  t'occuper de ton enfant, t'es pas dans les standards et comme t'es pas dans les standards, t'es une mère indigne (13).

Quelques mères rencontrées considèrent a posteriori que la pression exercée par le personnel médical pour qu'elles allaitent était démesurée. Elles disent avoir ressenti beaucoup de stress à  l'idée de ne pas parvenir à  allaiter, sentant qu'elles pourraient être considérées comme des « mauvaises mères » si elles devaient finalement utiliser des préparations commerciales. Comme le mentionne Manon Niquette (2014, p. 90), les campagnes de promotion de l'allaitement supposent « que les femmes qui n'obtempèrent pas n'aiment pas leur enfant ». Les sentiments associés à  une incapacité à  allaiter ou la volonté de ne pas allaiter tiennent du regret, de la honte, de la culpabilité (Niquette 2014, p. 94-104). Une mère a raconté avoir tenté d'allaiter sans succès pendant des mois avant de s'avouer que le biberon était la seule solution possible. Elle considère que la pression autour de l'allaitement et son « échec » ont contribué à  l'aggravation de sa dépression post-partum. Une autre ajoute : « Ils ont beaucoup axé sur l'allaitement et je voulais pas allaiter. J'ai jamais voulu. La culpabilité liée à  cette décision-là ... (13). » Deux mères ont mentionné que l'allaitement était non seulement un moment privilégié avec leur enfant, mais aussi un impératif. Il était inconcevable de donner des préparations commerciales à  leur enfant ou de les nourrir au biberon.

La préparation à  la parentalité, que ce soit par les lectures ou les cours prénataux des parents rencontrés, n'a aucunement remis en doute la croyance en la compétence innée des mères. Presque tous les pères ont accompagné leur conjointe dans les cours prénataux, bien que leur appréciation des contenus proposés dans ces cours soit mitigée et que leur préparation soit moindre en comparaison de celle de leur conjointe.

Certaines mères reprochent le côté essentiellement médical des cours prénataux. Une d'entre elles, travailleuse sociale dit : « Sur le coup je pensais que j'apprenais des choses, mais rendu à  l'accouchement, il y a rien qui m'a servi. Ils ont beaucoup axé sur l'allaitement et je voulais pas allaiter (16). »

Une autre mère, travaillant dans un organisme paragouvernemental, dit :

Je le conseille pas, à  part pour ceux qui ont aucune idée, qui savent rien du tout du monde de l'accouchement et des enfants. Sinon, si tu as déjà  changé une couche et tenu un enfant dans tes bras, c'est pas utile (6).

Certains pères s'en remettaient aux connaissances de la mère, comme ce père d'un milieu ouvrier dont la conjointe a une formation en travail social :

C'est sûr que ça aurait été utile, mais ma conjointe, c'est la meilleure des mamans. Elle me disait quoi faire pis je le faisais. Moi mes cours, c'est maman qui me les a donnés (18).

En général, les pères rencontrés ont eu très peu d'initiative dans leur propre préparation à  la parentalité. La lecture de livres ou la participation à  d'autres cours ou conférences sur la parentalité a été une pratique exclusivement féminine. Plusieurs pères ont affirmé avoir attendu la naissance de leur enfant pour se renseigner sur certaines questions bien précises, particulièrement le sommeil du nourrisson. D'autres avaient l'impression qu'ils savaient déjà  l'essentiel, sans préparation particulière. Un d'entre eux, travaillant dans le secteur de la finance, dit :

Si je les avais pas faits, je pense pas que ça aurait vraiment changé grand-chose. Il y a des affaires qu'on savait pas trop, mais il y a de choses qu'on savait. C'est peut-être bon pour ceux qui ont aucune idée de ce qu'il faut faire (9).

Inversement, la préparation à  la parentalité commence, pour certaines mères, bien avant la grossesse. Une mère de trois enfants dit par exemple : « Déjà  au secondaire, je savais que je voulais des enfants. Mes amies parlaient d'une carrière, d'une grosse maison, moi je voulais une grosse famille. Je pensais même être mère au foyer (3). »

Sans compter tous les éléments de l'éducation des jeunes filles qui les amènent à  développer des compétences utiles dans le contexte de la parentalité, notamment à  travers le gardiennage d'enfants, les mères rencontrées ont commencé à  s'intéresser concrètement à  leur propre parentalité bien avant leurs conjoints. Malgré une difficulté inhérente à  l'arrivée du premier enfant qui a été relatée par presque toutes les mères, elles étaient généralement moins surprises que le conjoint par la quantité de travail que l'arrivée d'un nourrisson implique.

L'insuffisante préparation à  la parentalité de plusieurs pères rencontrés a créé un véritable choc chez certains d'entre eux. En effet, les pères sont très peu préparés au type et à  la charge de travail que les soins d'un nourrisson nécessitent, mais aussi au type d'interactions minimales qui sont possibles avec un nourrisson. Un père ayant pris un congé parental de sept mois affirme : « Maintenant, c'est l'fun, il bouge, on peut jouer avec lui. Avant, s'il tenait ton doigt, c'était le moment fort de la journée ! (17) » Un autre père qui travaille dans le domaine de la santé raconte que dans les premiers mois de vie de son enfant, il trouvait difficile d'entrer en relation avec lui :« il y a rien à  faire avec un bébé naissant, c'est très peu réactif, ça dort beaucoup. Après ça tu gères des coliques (10). »

Un père travaillant dans le domaine de la finance, questionné sur la possibilité de prendre un congé plus long, hésite. « Ma croyance sur les enfants, c'est que c'est à  partir de six mois qu'ils commencent à  réagir et c'est à  ce moment-là  qu'ils commencent à  être intéressants (9). »

Les parents rencontrés jugent souvent que l'allaitement « donnerait » un avantage précieux aux mères pour établir un lien significatif avec le nouveau-né, au détriment du père. Ces mères se sentaient coupables du fait que leur enfant semblait plus attaché à  elles qu'à  leur père durant les premières semaines. Une d'entre elles laisse même entendre qu'elle aurait dû tirer son lait pour permettre à  son conjoint de se rapprocher de leur enfant.

Des mères rendues responsables des inégalités

Cette idée que les femmes ne laissent pas suffisamment d'espace pour que leur conjoint puisse pleinement participer au travail domestique et familial est fréquemment soulevée. Dans les couples qui partagent le moins le travail domestique et familial, ce n'est pas le manque d'initiative masculine qui est mentionné pour expliquer la situation, ou encore l'obligation de suppléer à  la faible participation du père, mais l'absence de latitude laissée aux hommes. Les hommes rencontrés, le plus souvent de leur propre aveu, affirment pourtant ne pas remarquer le désordre, ne pas savoir quand acheter les vêtements pour les enfants, etc. Leur justification renvoie de manière stéréotypée à  l'existence de normes de propreté différentes. Un père travailleur autonome qui n'a pas pris de congé parental dit :

Je pense que c'est plus important pour les filles le ménage. Si c'est pas propre en permanence, si c'est pas rangé en permanence, elles sont moins à  l'aise. C'est plus pour elles que pour nous. C'est pas que je veux pas en faire autant qu'elle, j'ai juste l'impression que c'est beaucoup moins important pour moi que pour elle. Les standards sont différents entre les gars et les filles (26).

Plusieurs mères estiment aussi que le peu d'engagement de certains pères de leur entourage est peut-être le résultat d'un instinct maternel trop affirmé. Une mère travaillant dans le secteur de la santé affirme :

Il y a beaucoup de femmes qui ne veulent pas laisser aller certaines choses, il y a beaucoup de perfectionnistes autour de moi. Elles ont plus de misère à  voir quelqu'un d'autre qu'elle à  faire le travail. Surtout du côté planification, j'ai l'impression qu'elles laissent moins de place à  leur chum. La planification des vêtements, de l'école, de ce qu'il a besoin pour aller à  l'école. J'ai l'impression que les filles veulent pas laisser aller ça, pas parce que c'est demandé que ça soit elles qui le fassent, parce qu'elles veulent être sûres que ça soit fait comme elles le veulent (1).

Une autre mère, vivant dans un milieu populaire, affirme : « Les filles, on lâche pas prise. On a tendance à  refaire comme on veut (15). » Le récit d'une autre mère qui travaille dans le domaine de l'enseignement met toutefois en évidence les fondements culturels de cette meilleure préparation des femmes à  l'arrivée d'un enfant, leur assignation à  ce travail qui les amène à  croire qu'elles doivent tout réaliser seules :

Je pense qu'on est naturellement porté à  prendre soin de l'enfant. C'est ce qu'on a vu de nos parents et c'est ce qu'on s'est fait enseigné, c'est nous les responsables dans la maison. C'est une image ancrée plus profondément que je pensais. Je me disais « on est une nouvelle génération, ça sera pas pareil », mais je regarde mes amies et on est toutes pareilles, on continue à  faire ce que nos mères ont fait. On prend en charge beaucoup de choses (21).

Néanmoins, elles demeurent nombreuses à  se rendre responsables de l'inégal partage du travail domestique et parental. Leur discours dénote tantôt une résignation, tantôt un sentiment de compétence, voire de fierté. Une mère de trois enfants et ayant pris l'ensemble des congés parentaux dit :

C'est sûr qu'on a beaucoup de choses sur les épaules... mais je sais que c'est moi qui me la mets. Je dis à  mon chum qu'il faut mettre sa vie sur pause quand on a des enfants, mais on n'est pas obligé de la mettre à  100 %. Peut-être que moi, je m'oublie un peu trop... on a toutes tendance à  faire ça alors que le gars s'oublie un peu moins. Il pense à  lui plus que nous on peut le faire. C'est de la façon que la femme est faite. On laisse peut-être pas assez la place... ou c'est eux qui prennent pas leur place... je sais pas (21).

Cette mère considère donc qu'il est naturel que les femmes en fassent davantage dans l'espace domestique. Elle poursuit :

Ça me dérange pas tant, c'est correct. C'est plus que j'aimerais ça qu'il soit là , au moins pour s'occuper des enfants pendant que je fais le reste. En tant que tel, faire les tâches ça me dérange pas. Quand je travaille, c'est plus rock'n'roll. La fin de semaine, je suis tout le temps en train de faire des tâches et il trouve ça plate... mais il faut que ça se fasse (22).

Dans un couple rencontré où la mère, travailleuse dans le domaine de l'enseignement, a pris l'ensemble du congé parental, il semble que les deux parents aient convenu qu'il était « normal » que ce soit la mère qui se lève la nuit pour s'occuper de l'enfant puisque le père était de retour en emploi. Cette mère se rend responsable de ne pas avoir exigé davantage de son conjoint :

C'est plus équitable [maintenant], mais en même temps c'est moi qui avais imposé ce partage non équitable là . C'est moi qui a voulu tout prendre les responsabilités qui s'attachaient à  notre enfant. C'est une erreur que sûrement plus qu'une fille fait : en étant à  la maison tu te dis « faut que je fasse tout » et quand le travail reprend c'est dur de casser ça (24).

Une autre mère se rend coupable d'avoir assumé plus de travail parental et domestique :

Durant le congé, c'est moi qui a mal agi, je me suis mise à  tout faire. Je suis à  la maison... je faisais le ménage, je faisais les courses, lui il faisait le souper par contre. [...] Mais j'allaitais, donc je prenais toutes les nuits... j'en ai trop pris. Ce qui a fait que quand je suis retournée travailler, j'ai continué la même chose et lui s'en rendait pas compte finalement, parce que je lui ai jamais rien demandé (21).

Une mère œuvrant dans le domaine communautaire dit par exemple : « Il y a peut-être un manque d'initiative des gars. La majorité de mes amies, elles en font vraiment plus. Il y a une question d'initiative, d'une vision d'ensemble de toutes les tâches (1). »

En somme, les parents rencontrés discutent peu des modalités de l'organisation du travail domestique et partagent la croyance qu'il est de la responsabilité de la mère de demander un partage plus équitable du travail domestique. Un père ayant très peu partagé le congé parental et le travail domestique affirme :

C'est notre premier enfant et elle en a pris beaucoup sur ses épaules. Elle aurait pu m'en déléguer, mais fallait quasiment que je me batte pour les avoir. Finalement je les ai pas eu les tâches. J'aurais aimé ça en faire plus, pas dans le sens que j'ai vraiment le goût de faire le ménage, mais elle se serait moins fatiguée (28).

Pour une majorité de pères rencontrés, il semble donc que les soins aux enfants, autres que l'allaitement, ne soient pas vus comme une occasion de rapprochement avec l'enfant. Donner le bain, changer des couches ou consoler le bébé pendant les coliques sont perçus comme des tâches ingrates. Les mères rencontrées n'exprimaient pas ce sentiment, mais ont remarqué la déception de leur conjoint qui se sentait mis à  l'écart de la dynamique mère-enfant. Les pères qui avaient des enfants plus vieux leur ont accordé plus d'attention pendant que la mère s'occupait principalement du nourrisson.

La naturalisation des compétences parentales dissimule toute la préparation que les femmes font depuis leur plus jeune âge, en vue de s'occuper de jeunes enfants. Définir le surinvestissement parental et domestique des mères comme une préférence personnelle, une inclinaison individuelle, légitime l'idée que les femmes préfèrent naturellement ces activités, « refusent » de les partager avec les pères qui auraient raison de se sentir exclus. Les femmes sont ainsi rendues responsables des inégalités qui les pénalisent et les hommes disculpés de leur insuffisante préparation et de leur plus faible participation dans le travail domestique et les soins aux nouveau-nés.

La mère comme premier parent

L'ensemble de ces croyances et de ces modèles converge pour maintenir l'assignation prioritaire des femmes à  l'espace domestique ou, pour le dire autrement, maintenir les mères comme premiers parents.

D'abord, le vocabulaire utilisé pour décrire les congés et leur partage renforce la naturalisation du lien entre les mères et les enfants. Presque la totalité des parents ont parlé de la même façon du partage du congé parental : « elle m'a donné une semaine de parental pour que je passe un peu de temps en famille (28) », « je [la mère] lui ai donné deux semaines de parental (21) ». Ces expressions de possession indiquent la croyance que le congé parental appartient a priori à  la mère, qu'elle en est responsable et qu'ultimement le partage de celui-ci sera de son ressort.

Du point de vue du travail domestique et parental, les pères rencontrés sont encore définis et se définissent comme venant en aide aux mères plutôt qu'assumant tout simplement leur juste part. Par exemple, une mère dont le conjoint participe plus que la moyenne des hommes rencontrés au travail domestique témoigne du statut généralement accordé au conjoint : « Je vois tout le monde autour qui me dit que je suis chanceuse d'avoir un conjoint qui m'aide autant (1). » Cette participante ne dit pas que son conjoint fait sa part, mais bien qu'il « l'aide » dans ses tâches. Malgré le discours égalitaire et la croyance que le travail parental et domestique doit être partagé également dans le couple, elle semble considérer que ce travail est par défaut le sien et que la participation de son conjoint est auxiliaire. Un père ouvrier de la région de Québec dit : « Selon moi, c'est la maman qui faut qui décide de ce qu'elle a besoin. Elle m'a dit, on va faire ça, tu vas prendre tant... on s'est mis d'accord, on s'est pas battu (18). »

L'idée que la conjointe prenne presque la totalité du congé parental relève de l'évidence pour la majorité des parents rencontrés. Un père travaillant dans le domaine de la santé l'explique ainsi : « c'était comme culturel, honnêtement j'ai pas pensé à  prendre vraiment plus. Ça aurait été l'fun d'en prendre plus, je sais qu'en Suède ils le font, mais on s'est pas posé la question (28). » Questionné sur son désir de prendre plus de congés, un autre père répond sans hésiter qu'il aurait aimé en prendre davantage, « mais pas en lui enlevant des semaines à  elle (7) ».

Interrogés sur la possibilité hypothétique de congés de paternité réservés plus longs, les pères rencontrés ont proposé des réponses variables : plusieurs pères ne voulaient tout simplement pas y réfléchir, certains affirmaient ne pas être particulièrement intéressés à  passer plus de temps en congé de paternité et d'autres - moins nombreux - se montraient favorables.

Un père travaillant dans le domaine informatique qui n'a pas pris de congé parental se dit favorable à  l'idée de prendre un congé plus long, à  condition que ce soit à  la fin du congé de la mère. « Au début, c'était bien qu'on soit là  les deux, mais vers la fin ça m'aurait pas dérangé de passer du temps tout seul avec elle. C'est une question d'habitude aussi, au début c'est un peu plus difficile, mais tu t'habitues. C'est un nouveau mode vie quand même (11). »

Un autre père mentionne que s'il avait pu prendre des semaines de congé parental, il n'aurait pas été seul avec son enfant, mais en présence de la mère. L'idée avait même été discutée dans le couple, afin de « passer du temps en famille ». Le seul moment prolongé que le sujet a passé seul avec sa fille est une fin de semaine, qu'il a trouvée « difficile, parce qu'elle était malade. C'est souvent plus maman dans ce temps-là , j'étais crevé à  la fin de la fin de semaine. C'était quand même le fun (7). »

Chez un couple où le congé parental a été pris en majorité par le père, la décision de partager le congé a été prise avant la grossesse, sans toutefois arrêter les détails de ce partage. Le couple attendait de voir comment la mère apprécierait le congé parental et donc, combien de semaines le père prendrait. Leur entente était donc claire : la mère prendrait son congé de maternité et quelques semaines de congé parental et retournerait ensuite en emploi; son conjoint prendrait ensuite le relais pour le reste du congé parental. Cela n'affectait pas, néanmoins, la croyance qu'il s'agit d'une prérogative de la mère de pouvoir déterminer les modalités du partage du congé parental.

Ces parents adhèrent globalement à  l'idée que si les femmes s'investissent davantage dans la sphère domestique et familiale, il ne s'agit ni d'une socialisation genrée ni du fait qu'elles doivent suppléer le sous-investissement de leur conjoint. En fait, selon eux, les femmes sont responsables du fait qu'elles assument encore massivement le travail domestique.

Une mère qui travaille dans le domaine de la santé et qui a très peu de soutien de la part de son conjoint dit : « les gens proches de moi, c'est surtout la mère qui s'occupe de tout. Je vois des pères s'impliquer à  l'école, mais je ne sais pas si c'est leur seule tâche d'aller reconduire leurs enfants. Autour de moi, tout le monde est pas mal dans ma situation, il y a personne qui trouve que je fais pitié (22). »

Pourtant, les conséquences de cette assignation inégale au travail domestique et parental selon le sexe de la personne qui a un nouvel enfant sont multiples. Sur le marché du travail, d'abord, elle contribue à  maintenir le soupçon que les femmes sont susceptibles d'être moins disponibles et plus souvent absentes de leur emploi, qu'elles sont remplaçables, tandis que les hommes sont indispensables. Elle contribue à  expliquer la persistance des inégalités économiques entre les sexes. Dominique Méda affirme que :

L'égalité de genre ne pourra être vraiment atteinte que si les hommes prennent en charge une partie des tâches domestiques et familiale (sic) et que se met en place, outre une configuration où les deux membres du couple participent également au marché du travail (deux apporteurs de revenu) et à  la prise en charge des tâches domestiques et familiales (deux pourvoyeurs de soins) (Méda 2008b, p. 123).

Les entrevues que nous avons tenues avec des parents de jeunes enfants, conjuguées à  la revue de littérature, nous permettent de constater qu'au-delà  des discours égalitaires, les pratiques et les conceptions des rôles de sexe ont souvent peu changé. Malgré une implication un peu plus grande des pères d'aujourd'hui, la naturalisation des inégalités dans le partage du travail domestique et parental est encore solidement ancrée dans les esprits de nombreux parents.

Recommandations

Garantir la pérennité du Régime québécois d'assurance parentale

Les congés parentaux ont toujours été vus par le Conseil du statut de la femme comme une mesure importante pour faciliter l'articulation travail-famille et contribuer à  la réduction des inégalités entre les sexes, notamment en favorisant l'indépendance financière des femmes et un meilleur partage du travail domestique et familial.

Les retombées positives du Régime québécois d'assurance parentale pour le Québec sont nombreuses. D'abord, le programme, bien que dispendieux à  première vue (1,98 milliard de dollars reçus en prestations), est conçu pour s'autofinancer par un prélèvement auprès des travailleurs et une contribution des employeurs, bien que ce ne soit pas encore le cas15. L'instauration du RQAPen 2006 a également coïncidé avec une augmentation notable du nombre de naissances au Québec : de 76 341 en 2005 à  81 962 en 2006.

Les parents que nous avons rencontrés ont unanimement et spontanément affirmé avoir grandement apprécié le RQAP. Plusieurs ont mentionné qu'ils auraient pu remettre en question leur projet parental en l'absence du RQAP.

Le RQAP. en instaurant un congé de paternité non transférable, a permis à  des milliers de pères d'être plus présents dans la première année de vie de leur enfant, au moins durant quelques semaines. Bien que leur présence ne soit pas aussi longue qu'elle pourrait l'être, parce qu'une minorité de couples partagent le congé parental, le congé de paternité demeure une avancée sociale importante qui peut permettre une implication plus grande des pères auprès de leurs enfants (Haas et Hwang 2008). Les pères rencontrés ont souvent affirmé que le congé leur avait permis de mieux saisir toute l'importance et la complexité des soins à  un enfant. Il s'agit donc pour le Conseil d'un grand progrès car les changements des mentalités sont le premier pas vers un changement des pratiques.

Le RQAP est un des deux piliers de la politique familiale du Québec, avec les services de garde subventionnés. Ils sont parties prenantes d'un choix de société : favoriser l'articulation travail-famille, l'égalité entre les femmes et les hommes, l'accès à  l'emploi pour les femmes, l'implication des pères.

À cet égard,

  1. Le Conseil recommande au gouvernement du Québec de s'engager à  assurer la pérennité du Régime québécois d'assurance parentale.

    Favoriser l'implication des pères

    Dans une brochure publiée en 1999 par l'État suédois, on pouvait lire :

    L'enfant a besoin de son père autant que de sa mère. Les liens les plus profonds entre le parent et l'enfant se tissent lorsque l'enfant est encore tout petit. La période où se nouent ces liens est irrécupérable ultérieurement. Un père absent devient vite une figure secondaire pour l'enfant. S'occuper d'un enfant augmente les capacités sociales et relationnelles. Affronter et résoudre des problèmes de la vie quotidienne avec un enfant feront apparaître de nouvelles compétences. Être en congé parental développe le sentiment paternel (Brachet 2006, p. 517).

    Le partage du congé parental, ajoute Brachet, est un « instrument indispensable » pour faire des avancées au chapitre de l'égalité entre les femmes et les hommes. Les hommes qui prennent un congé parental, de surcroît seuls avec l'enfant, seront plus à  même de constater l'importance de leur rôle parental, de la charge de travail qui y est associée et pourront développer un sentiment de compétence parentale.

    Même en Suède, où les inégalités entre les femmes et les hommes sont les plus faibles selon les palmarès mondiaux, les pères ne prennent qu'une faible proportion des jours de congés parentaux, correspondant malgré tout à  près de deux mois avec leur enfant (de Singly 2013, p. 86). Les inégalités de sexe sont complexes à  faire disparaître; elles forment un système qui est lent à  se transformer. En Suède aussi. La mesure la plus efficace pour inciter les pères à  prendre un congé de paternité a été adoptée au Québec : réserver une certaine quantité de semaines aux pères en congés de paternité exclusifs et non transférables.

    Toutefois, la Suède et d'autres pays européens sont allés plus loin. Ils ont prévu des semaines supplémentaires pour les pères qui prennent un congé parental seuls avec les enfants. Alors qu'une majorité de pères prennent actuellement leur congé de paternité de trois ou cinq semaines dès la naissance de leur enfant, d'abord pour être en soutien à  la mère, un congé de paternité seuls avec l'enfant favoriserait certainement le développement de leur sentiment de compétence auprès de leur enfant, d'une meilleure compréhension de la charge de travail qu'un enfant peut représenter et, à  terme, d'un meilleur partage du travail domestique et familial.

    Deux chercheures, Diane-Gabrielle Tremblay et Nadia Lazzari Dodeler (2015), ont rencontré 26 pères québécois ayant pris de longs congés de paternité ou parental, le plus souvent avec au moins quelques semaines seuls avec l'enfant. Leur échantillon permet toutefois de constater que la prise d'un long congé parental par les pères, particulièrement lorsqu'il se déroule sans la présence de la mère, a eu des bénéfices importants. Certains ont parlé de la création d'un lien fort avec l'enfant (p. 55), de changements dans le partage du travail domestique (p. 41), d'une transformation de la perception des besoins de l'enfant et du rôle de père (p. 51-52) et d'une remise en question de l'idée de compétence naturelle des parents (p. 58). De plus, cette étude met en évidence que la prise d'un long congé de parentalité par les pères est généralement liée à  l'existence préalable d'un projet de parentalité égalitaire et d'une conscience des inégalités encore persistantes entre les hommes et les femmes.

    Les pères que nous avons rencontrés qui ont passé du temps seuls avec leur enfant ont aussi affirmé que leur congé avait été l'occasion de mettre en place une relation plus étroite avec leur enfant et d'accroître leur conscience de la charge associée au travail parental et domestique qui est encore plus souvent assumée par les femmes.

    À l'inverse, les pères ayant pris le congé de paternité ou le congé parental uniquement en présence de la mère ont généralement raconté que les soins aux enfants étaient plus le domaine de leur conjointe : « elle est meilleure que moi », « ma fille demande toujours sa mère », « des fois, ils demandent papa, mais ils veulent plus souvent maman ».

    Il y aurait lieu de mettre en place un incitatif supplémentaire pour les pères à  prendre un congé parental, seuls avec l'enfant, puisqu'un meilleur partage du congé parental entre les parents est un élément clé de la réduction des inégalités entre les sexes. En effet, les répercussions économiques importantes pour les femmes de leur plus grand investissement dans le travail parental et domestique ont été documentées par le Conseil à  de multiples reprises.

    Ainsi, trois semaines du congé parental pourraient être transformées en congé de paternité supplémentaire, à  condition que le père soit le seul prestataire du RQAP à  ce moment. Dans le cas où une mère serait la seule prestataire, par exemple pour les mères monoparentales ou lorsque le père n'a pas droit aux prestations du RQAP, ces trois semaines demeureraient disponibles pour celle-ci.

    Une telle mesure pourrait faire l'objet d'une période d'essai de cinq ans, au terme de laquelle une évaluation serait faite afin de savoir si ce congé de paternité supplémentaire amène une plus grande implication des pères.

    Par conséquent,

  2. Le Conseil recommande l'instauration d'un congé de paternité réservé supplémentaire de trois semaines pris à  même le congé parental à  condition que le père soit durant ces trois semaines le seul prestataire du RQAP, afin de développer le sentiment de compétence parentale des pères et de favoriser un plus grand partage des soins aux enfants. Ce congé de paternité supplémentaire pourrait faire l'objet d'une période d'essai de cinq ans et être évalué à  ce moment afin de mesurer son utilisation et ses effets sur l'implication des pères. Dans l'éventualité où une mère serait la seule prestataire du RQAP, ces trois semaines ne devraient pas être retirées de son congé parental.

    Une plus grande flexibilité du Régime québécois d'assurance parentale

    Comme le Québec s'est inspiré directement de l'expérience suédoise dans la conception des deux piliers de sa politique familiale - les services de garde à  contribution réduite et les congés parentaux -, il y a lieu de regarder de nouveau vers la Scandinavie pour consolider les acquis et améliorer cette politique.

    Étudier la politique familiale de la Suède permet un constat général très important : les congés parentaux font partie d'un continuum de politiques sociales favorisant non seulement la famille, mais aussi explicitement l'égalité entre les femmes et les hommes. La Suède a été le premier pays à  mettre en place des congés parentaux partageables entre les parents, mais aussi à  prévoir un congé de paternité non transférable et à  garantir à  tous les enfants une place en garderie à  contribution réduite à  partir de l'âge d'un an (Tremblay 2012, p. 264-267; Haas et Hwang 2008; Raynault et Côté 2013). Les innovations suédoises ne s'arrêtent pas là  et peuvent inspirer le Québec à  en faire davantage, notamment sur la flexibilité des congés parentaux.

    Les parents - et plus spécifiquement les mères - que nous avons rencontrés partagent une expérience difficile lors du retour en emploi. Les entretiens menés avec de jeunes parents ont souvent conduit les mères à  parler du brusque retour au travail après un congé parental prolongé et surtout des difficultés reliées à  l'entrée en garderie de leur enfant. En effet, les parents sont presque unanimes à  ce chapitre : la première année en garderie est marquée par de nombreuses absences de leur enfant pour des raisons médicales.

    Comme nous l'avons vu, les maladies des enfants font partie de la charge mentale des mères. Certaines mères vivent un stress important car elles se font reprocher leurs absences fréquentes dues à  l'état de santé de leurs petits. Les femmes rencontrées ont parfois dû faire des choix professionnels afin de réduire cette pression : changement d'emploi, réaffectation à  un autre poste, demande de réaménagement d'horaire ou d'un travail à  temps partiel.

    Le programme suédois est intéressant à  ce chapitre. Il permet aux parents d'utiliser leurs congés parentaux sur une plus longue période et de s'aménager des semaines de travail réduites en les combinant à  des journées de congé parental. La flexibilité est très grande : les parents peuvent prendre leur journée en fraction, par quart, demi-journée ou journée complète, jusqu'à  ce que l'enfant ait terminé sa première année d'école (Haas 2008, p. 107).

    Une telle formule pourrait inspirer le Québec. Le Conseil souhaite que l'on réfléchisse aux moyens d'assouplir le RQAPafin de permettre la prise de congés parentaux à  temps partiel et sur une plus longue période, sans augmenter le nombre de jours de congé.

    Actuellement, le Québec ne permet la prise des congés parentaux que durant la première année de vie de l'enfant et seulement à  la semaine. De plus, le congé ne peut être pris qu'à  temps complet. Le RQAPaccepte que les parents maintiennent une rémunération inférieure à  25 % de leur prestation hebdomadaire sans pénalité, donc une rémunération maximale équivalant à  25 % de 75 %, 70 % ou 55 % du revenu d'emploi habituel, selon la situation du parent prestataire.

    Bien que cette règle assure une certaine flexibilité, elle n'équivaut pas à  la possibilité d'un travail à  temps partiel combiné à  un congé parental à  temps partiel. Les prestations parentales sont amputées avant même que la rémunération soit équivalente à  une journée de travail rémunéré par semaine, et les journées travaillées sont quand même considérées comme des journées de congé parental, donc soustraites à  la banque de semaines disponibles pour les deux parents. De plus, le processus actuel implique un arrangement avec l'employeur qui n'est pas tenu par la Loi sur les normes du travail de l'accorder à  son employé.

    Les avantages pour les parents de pouvoir prendre une partie du congé parental à  temps partiel seraient nombreux. D'abord, les aménagements travail-famille seraient ainsi mieux codifiés et uniformisés, ce qui éviterait des disparités entre les milieux d'emploi - certains prévoyant des mesures partielles et d'autres aucune mesure après le congé parental. Une plus grande flexibilité du RQAPaurait aussi l'avantage de garantir aux parents l'accès à  un tel aménagement de temps de travail et leur permettrait de ne pas perdre les journées travaillées à  temps partiel, puisqu'elles ne seraient pas déduites de leur congé parental. De plus, une telle pratique améliorerait particulièrement la situation des femmes qui sont actuellement plus nombreuses à  diminuer leur revenu en prenant des emplois à  temps partiel après le congé parental. La perte de revenu serait alors compensée par des allocations de congé parental.

    L'adoption d'une telle politique aurait aussi l'avantage de normaliser la situation des parents de jeunes enfants qui sont sur le marché du travail : les parents rencontrés sont unanimes, la première année en service de garde implique un grand nombre de journées lors desquelles ils doivent s'absenter du travail pour des obligations familiales. Rappelons d'ailleurs que les femmes s'absentent beaucoup plus souvent que les hommes pour des obligations personnelles ou familiales : 82,9 heures pour les femmes et 18,8 heures pour les hommes en 201316.

    Par ailleurs, il est possible de faire l'hypothèse que les jeunes pères très attachés à  leur activité professionnelle trouvent dans cette possibilité de prendre le congé parental à  temps partiel tout en maintenant leur lien d'emploi une motivation supplémentaire à  partager davantage le congé parental avec les mères.

    Actuellement, le RQAPprévoit un maximum de 32 semaines de congé parental, donc 160 jours. Afin de maintenir la durée actuelle du congé et de permettre un retour en emploi à  temps partiel sans pénaliser les parents qui voudraient y recourir, il serait opportun d'allonger la période où le congé parental peut être pris, jusqu'à  18 mois après la naissance de l'enfant.

    Pour arriver à  un tel changement dans les pratiques, il faudrait modifier la Loi sur l'assurance parentale qui prévoit actuellement le calcul et le versement des prestations sur une base hebdomadaire. Une modification de la Loi sur les normes du travail serait aussi nécessaire afin de garantir l'accès au travail à  temps partiel durant le congé parental. Le système informatique actuel devrait aussi être remanié afin de permettre la gestion des congés parentaux en jours plutôt qu'en semaines.

    Des contraintes découleront certainement d'un tel réaménagement pour les employeurs. Il faut toutefois se rappeler qu'avant la mise en place du RQAP. plusieurs critiques affirmaient aussi que des congés de paternité seraient trop difficiles à  gérer pour les entreprises. Cinq ans après l'entrée en vigueur du régime, un sondage mené pour le CGAP montrait que bien que 30 % des employeurs affirmaient avoir eu des difficultés liées à  l'absence des employés en congés parentaux, 90 % d'entre eux considéraient que le RQAPétait positif ou très positif et qu'il était normal qu'ils apportent leur contribution à  la conciliation travail-famille des parents (Écho Sondage 2011, p.1-2).

    Malgré certaines résistances, les organisations se sont largement adaptées au RQAP. Les recherches suédoises démontrent que les organisations s'adaptent aux changements de politiques publiques en matière de congés parentaux. Elles révèlent aussi que l'utilisation des congés de paternité et des congés parentaux par les pères peut faire partie d'un cercle vertueux : plus de pères prennent les congés, plus les autres hommes seront tentés de le faire. En outre, plus une organisation sera active dans la promotion de la paternité, plus ses employés auront recours aux congés parentaux. Les politiques publiques précèdent donc, dans ce cas, les changements de comportement. Il s'agit de mettre en place les mécanismes et d'atteindre une certaine masse critique dans l'utilisation des mesures (Axelsson 2014, p. 12).

  3. Le Conseil recommande au Conseil de gestion de l'assurance parentale de réfléchir à  la mise en place d'une plus grande flexibilité du congé parental afin de permettre de le prendre à  temps partiel, d'étendre la période d'admissibilité, de le comptabiliser en jours plutôt qu'en semaines et ainsi faciliter le retour progressif en emploi.

    Les femmes en situation de pauvreté

    Nous avons rencontré des parents de plusieurs milieux, ayant des revenus et des niveaux de scolarité très différents, présentant des situations familiales variées et vivant des réalités parfois très éloignées les unes des autres. Nous avons aussi eu la chance de rencontrer des personnes œuvrant dans des milieux où la pauvreté donne une signification bien particulière à  la parentalité.

    Ce qui ressort de ces rencontres est une certaine inadéquation des programmes offerts par le gouvernement du Québec dans le cadre de sa politique familiale et la réalité des personnes - des femmes surtout - en situation de pauvreté.

    Dans certains milieux où le taux de familles monoparentales approche 50 % - familles où la femme est le seul parent dans la grande majorité des cas -, l'idée de prendre un congé parental prolongé n'est tout simplement pas envisageable. Pour une femme qui travaille dans la restauration rapide pour les quarts du matin et du soir, au salaire minimum, la possibilité de rester auprès de ses enfants en comptant sur un taux de remplacement du revenu de 55 % n'est pas concevable. Pour une mère qui vit avec ses trois enfants dans un village, où elle travaille tout juste au-dessus du salaire minimum, réduire son salaire de près de moitié est un défi énorme, même avec la majoration offerte par le RQAPaux familles à  faible revenu. Cette majoration, d'un montant variant entre 1,70 $ et 67 $ par semaine, peut être accordée à  l'un des deux parents si le revenu familial net est inférieur à  25 921 $ (CGAP 2013b, p. 30).

    La réaction de ces femmes rencontrées est souvent la même : le RQAP est un excellent programme, mais il est beaucoup mieux adapté à  la réalité des familles des classes moyennes. La prestataire typique du RQAP est effectivement de classe moyenne, salariée et vit en couple.

    Les besoins des travailleuses à  faible revenu et occupant des emplois précaires ne sont pas pris en compte par la politique familiale actuelle : l'accès aux services de garde à  des heures atypiques et les haltes-garderies sont considérés comme des priorités par les personnes rencontrées.

    Le faible nombre de parents et de personnes rencontrées œuvrant dans des milieux où la pauvreté est importante ne nous permet pas de formuler des recommandations au gouvernement, mais l'inadéquation entre la situation des personnes les moins privilégiées économiquement et les programmes québécois de soutien à  la parentalité mériterait que la situation soit mieux documentée. Ainsi :

  4. Le Conseil du statut de la femme recommande de documenter la réalité des parents en situation de pauvreté et d'adopter des politiques permettant de répondre adéquatement à  leurs besoins.

    La sensibilisation de la population aux bénéfices des congés parentaux et de leur partage

    La Suède innove non seulement dans les politiques familiales, mais aussi dans la promotion de celles-ci. En effet, la Suède a investi massivement afin de faire connaître ses politiques familiales, les mesures auxquelles les parents ont droit et pour faire la promotion du partage du congé parental entre les parents. Cette promotion est centrale dans l'expérience suédoise : la compréhension des bénéfices des congés parentaux pour l'ensemble de la société peut conduire à  un meilleur partage de ces congés, du travail domestique et familial et, par le fait même, de l'adoption de comportements égalitaires (Haas 2008, p. 110).

    Les parents que nous avons rencontrés ont fait état à  plusieurs reprises d'une connaissance partielle non seulement du RQAP. mais de l'ensemble des politiques familiales québécoises. Certains avaient peine à  distinguer les différents régimes disponibles, certains ne les connaissaient pas, d'autres n'avaient pas intégré l'information que le congé parental pouvait être partagé entre les parents. Lorsqu'ils étaient questionnés sur leur perception du déséquilibre entre la quantité de travail domestique et familial accompli par les femmes et les hommes, peu de parents pouvaient émettre des hypothèses informées sur les causes de ce déséquilibre. De plus, les parents semblaient dans une très grande majorité encore se fier à  des explications justifiant par l'idée de nature la plus grande implication des femmes dans la sphère domestique. À cet égard, nous considérons qu'il subsiste un manque d'information et de sensibilisation sur ces questions.

    Ainsi, mieux faire connaître les programmes offerts en matière de congés parentaux et les bonnes pratiques en matière d'égalité entre les femmes et les hommes pourrait favoriser l'augmentation de la prise de congés parentaux par les pères, mais aussi une meilleure acceptation sociale des mesures. La Suède ne s'est pas contentée d'encourager les pères à  prendre un congé parental, elle a organisé des campagnes de sensibilisation plus larges présentant à  la population les bénéfices d'une politique familiale intégrée.

    Par exemple, les campagnes de sensibilisation ont exposé les avantages pour le pays d'accroître son taux de natalité, en premier lieu la réduction des effets du vieillissement de la population et l'amélioration du ratio travailleur/personne retraitée. Ces campagnes ont aussi fait valoir que les enfants qui ont des parents plus présents courent moins de risques de vivre divers problèmes sociaux coûteux pour la société, comme des problèmes de santé ou de criminalité. Ensuite, l'État suédois a expliqué à  la population que les congés parentaux, tout en permettant une meilleure égalité économique entre les conjoints, favorisent aussi une diminution du taux de chômage, ne serait-ce que par les remplacements des parents en congé. Finalement, les campagnes ont fait valoir que les congés parentaux facilitent un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et la vie familiale (Haas 2008, p. 110).

    Dans son plan d'action gouvernemental pour l'égalité entre les femmes et les hommes 2011-2015, le gouvernement du Québec prévoyait une importante campagne de promotion des rapports égalitaires destinée au grand public. Une telle campagne nous semble encore nécessaire afin de promouvoir l'implication des pères et le partage plus équitable du congé parental, dans une perspective d'égalité, même si le gouvernement a choisi de privilégier le développement d'un portail web regroupant des informations et des outils sur la promotion des rapports égalitaires qui sera destiné aux membres du personnel des services de garde et des écoles, ainsi qu'aux parents.

  5. Le Conseil recommande au gouvernement du Québec, par le truchement du Secrétariat à  la condition féminine, du ministère du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale et du ministère de la Famille, d'organiser de vastes campagnes de sensibilisation auprès de la population afin de mieux faire connaître les modalités du Régime québécois d'assurance parentale, les avantages du partage des congés parentaux entre les conjoints et les bénéfices d'un tel programme pour l'ensemble de la population.

    Les cours prénataux

    Les données recueillies auprès des parents rencontrés dans le cadre de cet avis concernaient également la préparation à  la parentalité et les connaissances du rôle parental. La grande majorité des parents ont suivi des cours prénataux offerts dans les centres locaux de services communautaires (CLSC). Même si certaines informations reçues durant ces cours étaient jugées utiles, l'appréciation globale du contenu semblait relativement faible. Tant les pères que les mères rencontrés les jugeaient parfois trop généraux, et en même temps trop concentrés autour de l'allaitement.

    Le cursus des cours prénataux présente des variantes d'un CLSC à  un autre, mais une trame de fond subsiste : l'accent est partout mis sur les questions de santé. Les autres dimensions de la parentalité relevant davantage du travail, de la psychologie, du partage du travail domestique et parental, de la sexualité, des finances personnelles, des conséquences économiques de la prise du congé parental, de l'éducation et la stimulation des enfants sont très peu abordées, selon l'échantillon de plans de cours prénataux que nous avons consulté et selon les témoignages de parents ayant suivi ces cours. Enfin, les pères rencontrés ont presque tous affirmé s'être sentis peu concernés par le cursus des cours prénataux.

    Le contenu des cours prénataux n'était pas l'objet de cet avis, mais compte tenu des réactions très mitigées des parents à  leur égard, il y aurait lieu d'approfondir la question et d'interroger davantage les jeunes parents québécois afin de mieux répondre à  leur besoin de formation prénatale.

    La Suède peut encore une fois nous inspirer pour améliorer nos cours prénataux. Comme le rappelle Brachet (2006, p. 517), la formation parentale suédoise, mise en place à  partir des années 1970, s'est adaptée afin de faire la promotion de l'égalité conjugale et d'inciter les pères à  s'impliquer davantage :

    Le contenu de cette formation est progressivement passé d'une simple préparation à  l'accouchement et aux soins à  donner à  l'enfant à  une préparation à  être parent. La parentalité est problématisée : l'aspect psychologique et social du futur rôle de parent ainsi que les changements que connaîtront les parents dans leur relation de couple sont des thèmes abordés. Le bénéfice du congé parental pour le père comme pour l'enfant est inscrit au programme. Le taux de participation à  cette formation atteint presque 100 % parmi les parents attendant un premier enfant. Des groupes de discussions spécifiques pour les futurs pères ont aussi vu le jour dans plusieurs communes.

    Dans cet esprit, nous formulons deux recommandations :

  6. Le Conseil recommande au ministère de la Santé et des Services sociaux, en collaboration avec le Secrétariat à  la condition féminine et le ministère de la Famille, de réviser les cours prénataux offerts aux parents afin de donner de l'information non stéréotypée sur le rôle de parent, les transformations des relations conjugales à  l'arrivée d'un premier enfant ainsi que sur le partage égalitaire des congés parentaux, du travail domestique, des soins aux enfants, des responsabilités parentales et des répercussions économiques de la prise des congés.

  7. Le Conseil recommande au ministère de la Santé et des Services sociaux, en collaboration avec le Secrétariat à  la condition féminine et le ministère de la Famille, d'inclure dans les cours prénataux une séance s'adressant spécifiquement aux hommes afin de faire la promotion des rapports égalitaires, du partage du travail domestique et familial, du partage des congés, de parler de paternité et de répondre à  leurs questions particulières.

    Le guide « Mieux vivre avec notre enfant de la grossesse à  deux ans »

    La préparation et l'accompagnement à  la parentalité se font beaucoup par l'entremise du guide « Mieux vivre avec notre enfant de la grossesse à  deux ans », publié par l'Institut national de la santé publique (INSPQ). Le guide est remis gratuitement à  tous les parents au début du suivi de la grossesse et est disponible en ligne dans son entièreté. Il s'agit d'un guide très accessible qui traite, comme le titre l'indique, de l'évolution de l'enfant de la conception jusqu'à  l'âge de deux ans. Le guide a beaucoup évolué depuis sa première version, écrite en 1977 (Chumova 2014, p. 47).

    Tous les parents rencontrés ont mentionné spontanément le guide et ont affirmé s'y être référés à  différents moments. Certains l'ont dévoré d'une couverture à  l'autre dès qu'ils ont su qu'ils allaient être parents. D'autres l'ont consulté pour suivre les stades d'évolution du fœtus, et une majorité ont attendu la naissance avant de lire les chapitres qui les intéressaient de façon ponctuelle. Comme les cours prénataux, le guide « Mieux vivre » propose une approche essentiellement centrée sur des questions médicales, ce qui n'est pas étranger au fait qu'il émane d'un organisme de santé publique. Il aborde tout de même certains aspects de la dimension relationnelle entre les parents et leur enfant, réservant d'ailleurs deux courtes sections aux rôles de père et de mère.

    Le présent avis ne porte pas spécifiquement sur le guide « Mieux vivre » et il existe d'autres sources d'information sur la parentalité massivement distribuées, par exemple le magazine Naître et grandir. Néanmoins, puisque tous les parents ont parlé d'emblée du guide « Mieux vivre » comme l'élément central de leur préparation et apprentissage de la parentalité et comme celui-ci est produit par un organisme parapublic, il semble important de s'y pencher.

    Le rôle parental n'occupe qu'une faible part de tout le contenu présenté par le guide. Sur un total de 780 pages, le rôle du père n'occupe que 5 pages et celui de la mère 6 pages, à  la fin du guide.

    Il nous apparaît important de bonifier les contenus du guide afin de présenter une information plus détaillée sur la préparation au rôle de parent. Il y aurait matière, dans le cadre du guide, à  amener les parents à  réfléchir davantage sur leur implication comme parents, sur le partage du travail domestique et familial, et sur l'égalité conjugale dans une approche qui dénaturalise le rôle de chaque parent. De plus, la réflexion sur la parentalité pour un couple en attente d'un enfant nous semble être un sujet trop important pour ne l'aborder qu'à  la fin du guide : pourquoi ne pas en parler dès le début et soutenir ainsi un usage davantage partagé de ce guide et des compétences parentales qu'il permet de développer ?

  8. Le Conseil recommande à  l'Institut national de la santé publique (INSPQ) de revoir le contenu du guide « Mieux vivre avec notre enfant de la grossesse à  deux ans » afin de bonifier l'information sur les rôles parentaux, notamment en insistant sur l'importance du partage du travail domestique et familial, en présentant les rôles de chaque parent de manière non stéréotypée et en déplaçant la section sur la parentalité au début du guide.

Conclusion

Le partage - ou l'absence de partage - des congés parentaux n'est pas un phénomène isolé de l'inégal partage du travail domestique et des soins aux enfants. En effet, nous avons constaté que les congés parentaux pris dans le cadre du Régime québécois d'assurance parentale (RQAP) ne peuvent être compris sans faire de lien avec le fait que les pères assument encore une part moins grande du travail à  la maison.

L'adoption du RQAP a eu des effets positifs dans la vie des femmes et des jeunes familles. Il a permis aux mères de prendre des congés plus longs et mieux rémunérés sans risquer de perdre leur emploi, aux hommes d'accéder à  des semaines de congé de paternité qui leur sont réservées, aux familles d'améliorer leur situation financière quand un des deux parents s'occupe à  temps plein d'un nouveau-né. Il n'est pas possible d'affirmer que les congés parentaux ont fait diminuer l'inégal partage du travail domestique et des soins aux enfants.

Les couples rencontrés avaient beaucoup de points en commun : les pères ont pris pour la plupart les semaines de congé de paternité leur étant réservées, mais très peu ont utilisé des semaines du congé parental partageable entre les parents. Ils font moins de travail domestique et familial que leur conjointe, et ce, peu importe leur milieu socioéconomique, leur scolarité, leur revenu et leur âge.

Parmi les couples rencontrés et même chez les plus égalitaires d'entre eux, la charge mentale (c'est-à -dire la planification, la préparation, la prévision et souvent la délégation des tâches) reposait de façon disproportionnée sur les femmes. En effet, cette tendance a été observée dans tous les couples, à  des degrés divers.

La politique familiale du Québec, en adoptant un régime de congés parentaux inspiré de la Scandinavie, a été décrite comme faisant la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes. Cela est en partie vrai. Toutefois, ces avancées sont insuffisantes pour mener à  la disparition des inégalités entre les sexes.

La politique gouvernementale pour l'égalité entre les femmes et les hommes a fait de la conciliation des responsabilités familiales et professionnelles une de ses sept orientations. Même en faisant la promotion de mesures d'articulation travail-famille, l'égalité entre les sexes ne progressera pas si les femmes demeurent presque les seules à  s'en prévaloir. La répartition égalitaire du travail domestique et familial demeure un objectif à  atteindre, mais il faut réfléchir à  la façon de faire évoluer les mentalités et les comportements plus rapidement à  ce chapitre.

Annexe I : Méthodologie

Une démarche de type qualitatif auprès d'un nombre plus restreint de personnes permet d'en apprendre davantage que les données statistiques sur la réalité des nouveaux parents qui prennent des congés, du point de vue des représentations qui organisent leurs expériences, du quotidien concret et du travail parental qu'ils et elles effectuent.

L'enquête a permis d'obtenir des portraits plus détaillés des parents rencontrés et de documenter les représentations différentes de mêmes situations entre les pères et les mères d'une même unité conjugale.

Des entretiens individuels ont été réalisés auprès de 27 parents, 15 mères et 12 pères. Les principales hypothèses de travail, issues des travaux scientifiques sur la question décrits dans les chapitres 1, 2 et 3 et ayant guidé l'élaboration des schémas d'entretien ainsi que l'analyse des données, étaient :

  1. Malgré une plus grande implication des hommes dans les travaux domestiques et familiaux, les femmes demeurent les premières responsables de ces travaux, de la charge mentale.

  2. Certaines caractéristiques socioéconomiques des parents influencent positivement la prise de congés parentaux et de paternité, notamment la scolarité plus poussée, une perception favorable envers l'égalité des sexes, un travail dans le secteur public et une situation financière confortable.

  3. Le partage des congés parentaux ne fait pas l'objet de discussions détaillées entre les parents, mais est d'abord le résultat de la socialisation à  la parentalité différente des femmes et des hommes.

  4. Le partage des congés parentaux favorise l'implication des pères auprès de leurs enfants, particulièrement lorsqu'ils ont passé du temps seuls avec ceux-ci, sans la présence de la mère.

  5. Le partage des congés parentaux repose sur des croyances relatives à  une nature différente des femmes et des hommes qui consacrent la mère comme le premier parent.

Les entrevues ont été conduites sur le mode semi-directif : elles ont été encadrées par certains thèmes et questions qui sont venus circonscrire le niveau de réponse des répondants et des répondantes. Elles ont été complétées par un questionnaire court permettant de déterminer des variables sociodémographiques précises (âge, emploi, revenu, scolarité, etc.). Le schéma d'entretien est présenté à  l'annexe III.

Comme dans les autres recherches qualitatives, nous avons utilisé un échantillon non probabiliste. Alors que l'échantillon probabiliste repose sur le hasard, l'échantillon non probabiliste est intentionnel (Deslauriers 1991, p. 58).

Nous avons visé une représentation équitable entre les hommes et les femmes dans notre échantillon. Le recrutement des sujets a été fait à  l'aide d"˜informateurs-clés, suivant des critères socio-démographiques que nous voulions étudier. Il ne s'agit pas de prétendre à  la représentativité statistique de l'échantillon, comme dans le cas d'une étude quantitative, mais bien de varier les expériences de vie afin d'en sortir des éléments nouveaux.

Dans la perspective d'une recherche qualitative, c'est davantage la diversité des cas retenus qui importe, non leur caractère représentatif au sens statistique du terme, c'est-à -dire leur importance respective dans l'ensemble de la population. On cherchera des récits de vie qui éclaireront la plus grande diversité possible des attitudes supposées à  l'égard du thème à  l'étude (Mayer et collab. 2000, p. 183).

À cet égard, notre échantillon a été construit en fonction de facteurs sociodémographiques qui, selon la littérature scientifique consultée, exercent une influence sur le partage des congés parentaux. Nous avons donc cherché à  interviewer des gens dont les expériences sont variées, selon ces critères :

L'annexe II présente en détail les caractéristiques des parents rencontrés. Il est important de noter que notre échantillon ne comprend pas de parents issus de l'immigration. La réalité des parents issus de l'immigration mériterait de faire l'objet d'une étude séparée. Les personnes retenues avaient toutes terminé leurs prestations du RQAPdepuis moins d'un an, à  l'exception d'un couple. Cette contrainte de temps nous semblait importante pour deux raisons. Elle permettait aux parents d'avoir un certain recul par rapport à  leur congé parental et de comparer la situation du congé et celle du retour en emploi avec des enfants à  charge. Ensuite, elle permettait aux parents d'avoir une expérience assez récente du RQAP. et de limiter la possibilité qu'ils aient oublié les aspects du congé que nous voulions étudier. Nous avons étendu notre échantillon à  deux couples qui avaient trois enfants, mais qui n'avaient pas terminé le dernier congé parental. Ces couples avaient tout de même une expérience récente de congés parentaux et de retour au travail à  la suite de ceux-ci. Leur expérience avec plusieurs enfants les amenait à  avoir un regard différent sur leurs congés parentaux, d'un enfant à  l'autre. Nos entretiens se sont faits dans les villes de Québec, de Montréal et dans les environs de ces deux villes, autant en milieu urbain qu'en milieu rural.

Tous les entretiens ont été enregistrés et réécoutés à  plusieurs reprises. Ils ont été résumés en y incluant des citations des parents. Les données ont ensuite été colligées dans un tableau permettant de regrouper le discours des parents dans de grandes catégories provenant de la revue de littérature : la division du travail domestique et familial, la préparation au rôle parental, les aménagements du travail salarié, les représentations spécifiques sur les congés parentaux et es représentations de genre.

Les entretiens ont été analysés en fonction de ces grandes catégories, ce qui nous a permis de faire des rapprochements entre les expériences des parents, mais aussi de dégager des différences de représentation autant à  l'intérieur des couples qu'entre les couples ayant des caractéristiques socioéconomiques différentes.

Annexe II : Profil des participants

Profil des participants
Congés parentaux
Numéro de l'entretien Sexe Âge Secteur emploi Revenu17 Scolarité Résidence Nombre d'enfants Régime Paternité Parental père Maternité Parental mère Seul avec enfants
1 Féminin 36 Santé 40 à  59 Maîtrise Banlieue 1 Particulier 15 semaines 25 semaines 31 semaines
2 Féminin 28 GEP 20 à  39 Certificat Banlieue 1 Base 18 semaines 32 semaines 45 semaines
3 Féminin 30 PME moins de 20 Baccalauréat Banlieue 3 Base 18 semaines 20 semaines 20 semaines
4 Féminin 30 GEP 40 à  59 Baccalauréat Banlieue 1 Base 18 semaines

32 semaines

42 semaines
5 Féminin 37 Gouvernement 100+ Maîtrise Banlieue 3 Base 18 semaines 4 mois 3 mois
6 Féminin 41 Parapublic 60 à  79 Baccalauréat Banlieue 1 Base 18 semaines 32 semaines + 2 mois 10 mois
7 Masculin 30 Gouvernement 60 à  79 Baccalauréat Banlieue 1 Base 5 semaines + 1 semaine 0 0
8 Masculin 38 Gouvernement 100+ Maîtrise Banlieue 3 Base 5 semaines 3 mois 3 mois
9 Masculin 33 GEP 60 à  79 Maîtrise Banlieue 1 Base 5 semaines 0 0
10 Masculin 36 Santé 40 à  59 Doctorat Banlieue

1

Particulier 3 semaines 0 0
11 Masculin 30 Gouvernement 40 à  59 Baccalauréat Banlieue 1 Base 5 semaines 0 0
12 Masculin 29 GEP 40 à  59 DEP Banlieue 3 Base 5 semaines 12 semaines 0
13 Féminin 32 PME 60 à  79 Maîtrise Rural 1 Base 18 semaines 5 mois 0
14 Féminin 28 Municipal 20 à  39 Certificat Rural 2 Base 18 semaines 3 mois 3 mois
15 Féminin 30 GEP 20 à  39 DES Rural 3 Base 18 semaines 32 semaines 47 semaines
16 Féminin 32 Communautaire 20 à  39 Maîtrise Rural 2 Base 18 semaines 32 semaines 46 semaines
17 Masculin 39 GEP 20 à  39 Certificat Rural 1 Base 5 semaines 7 mois 4 mois
18 Masculin 30 Défense 60 à  79 DES Rural 2 Base 5 semaines 3 mois 0
19 Masculin 29 Santé 40 à  59 DEP Rural 3 Base 5 semaines 0 0
20 Masculin 32 Défense 100+ Baccalauréat Rural 2 Base 5 semaines + 1 semaine 0 0
21 Féminin 29 Education 20 à  39 DEC (technique) Urbain 1 Base 18 semaines 30 semaines 41 semaines
22 Féminin 33 Santé 20 à  39 DEC (technique) Urbain 3 Base 18 semaines 32 semaines 47 semaines
23 Féminin 28 Communautaire 40 à  59 Baccalauréat Urbain 1 Base 18 semaines 30 semaines 40 semaines
24 Féminin 34 Santé 40 à  59 DEC (technique) Urbain 1 Base 18 semaines 32 semaines 42 semaines
25 Féminin 49 Communautaire 40 à  59 Maîtrise Urbain 1 Base 5 semaines + 1 semaine 0 0
26 Masculin 34 Autonome 40 à  59 DEC (technique) Urbain 3 Base 5 semaines 0 0
27 Masculin 34 Parapublic 40 à  59 DEC (technique) Urbain 1 Base 5 semaines 2 semaines 0
28 Masculin 28 Communautaire 40 à  59 Baccalauréat Urbain 1 Base 5 semaines 2 semaines 0

Annexe III : Schéma d'entretien

  1. Parlez-moi des congés parentaux que vous avez pris : paternité, maternité, congé parental partageable.

  2. Comment avez-vous partagé les congés parentaux ?

    1. Le père a-t-il pris au complet le congé de paternité ?

    2. Le congé parental a-t-il été partagé ?

    3. À quel moment les congés ont-ils été pris par le père ? À la naissance, collés aux vacances, à  la toute fin de la période éligible ?

    4. Le père a-t-il pris des semaines consécutives ou séparées ou un mélange de deux ?

    5. Le père a-t-il été seul avec l'enfant durant son congé ? À quel moment ?

    6. Saviez-vous que vous pouviez partager le congé parental à  votre guise ?

  3. Pouvez-vous me raconter comment la façon de partager le congé parental a été décidée ?

    1. Le partage a-t-il fait l'objet de discussions ?

    2. Y avait-il divergence entre vous et votre conjoint(e) sur la façon de partager ?

    3. Quelles ont été les principales motivations de votre choix ?

    4. Quelle influence de :

      1. famille,

      2. amis,

      3. milieu de travail...

  4. Quelle a été la réaction de votre entourage à  votre choix de congé :

    1. De la famille

    2. Des amis

    3. Du milieu de travail

  5. Quelle préparation avez-vous faite avant la naissance de l'enfant ? (préparation à  la parentalité, cours, lectures, travaux, etc.)

    1. Et votre conjoint(e) ?

  6. Qu'est-ce que vous avez fait durant le congé (maternité, paternité, parental) ? Avez-vous appris des choses ? Qu'avez-vous aimé ou moins aimé ?

  7. Est-ce que le fait de prendre un congé a modifié vos pratiques ou votre implication à  la maison ?

  8. Auriez-vous pris davantage de congé parental ou partagé différemment si vous aviez pu ? Si oui, qu'est-ce qui vous a empêché de partager comme vous le souhaitiez le congé parental ?

  9. Dans l'idéal, comment seraient organisés les congés pris par les parents après la naissance d'un enfant ?

  10. Pouvez-vous me parler des routines quotidiennes avec les enfants (au lever, au retour de la garderie, au coucher) ?

  11. Parmi cette liste de tâches, pouvez-vous me dire qui les accomplit et environ dans quelle proportion ?

    1. Préparation des repas

    2. Nourrir les enfants

    3. Bain des enfants

    4. Habiller les enfants

    5. Lecture aux enfants

    6. Jouer avec les enfants

    7. Sortie avec les enfants (ex. au parc)

    8. Laver les planchers

    9. Laver les salles de bain

    10. Laver les vêtements et la literie

    11. Époussetage

    12. Laver la vaisselle

    13. Entretien de l'extérieur (pelouse, pelletage...)

    14. Travaux de maintenance (peinture...)

    15. Travaux de rénovation

    16. Aller chez le médecin

    17. Prévoir les menus

    18. Prévoir les achats (vêtements, par exemple)

    19. Contacts avec la garderie

    20. Prévoir les activités

    21. Qui s'occupe des enfants lorsque la famille est à  l'extérieur de la maison ?

    22. Qui se lève en premier la nuit ?

    23. Qui se lève en premier le matin ?

    24. S'occuper des animaux de compagnie

  12. Parlez-moi de vos activités et de vos loisirs : avez-vous conservé des activités hors de la maison, en avez-vous de nouvelles, avez-vous des temps libres ?

    1. Qu'en est-il de votre conjoint(e) ?

      • Si nouvelles activités, quelles sont-elles ?

      • Les temps libres sont-ils passés avec les enfants (par exemple, cardiopoussette, cinéma avec enfants, etc.) ?

  13. Êtes-vous satisfait(e) de cette répartition du travail entre vous et votre conjoint(e) ?

  14. Pensez-vous que la manière de partager le congé parental a eu un impact sur la répartition actuelle du travail domestique et parental ?

  15. Les statistiques nous disent que les femmes font davantage de travail domestique et familial que les hommes. Est-ce une situation que vous observez dans votre entourage ? Si oui ou si non, pourquoi ?

Annexe IV : Liste des recommandations

  1. Le Conseil du statut de la femme recommande au gouvernement du Québec de s'engager à  assurer la pérennité du Régime québécois d'assurance parentale (RQAP).

  2. Le Conseil recommande l'instauration d'un congé de paternité réservé supplémentaire de trois semaines pris à  même le congé parental à  condition que le père soit durant ces trois semaines le seul prestataire du RQAP, afin de développer le sentiment de compétence parentale des pères et de favoriser un plus grand partage des soins aux enfants. Ce congé de paternité supplémentaire pourrait faire l'objet d'une période d'essai de cinq ans et être évalué à  ce moment afin de mesurer son utilisation et ses effets sur l'implication des pères. Dans l'éventualité où une mère serait la seule prestataire du RQAP, ces trois semaines ne devraient pas être retirées de son congé parental.

  3. Le Conseil recommande au Conseil de gestion de l'assurance parentale de réfléchir à  la mise en place d'une plus grande flexibilité du congé parental afin de permettre de le prendre à  temps partiel, d'étendre la période d'admissibilité, de le comptabiliser en jours plutôt qu'en semaines et ainsi faciliter le retour progressif en emploi.

  4. Le Conseil du statut de la femme recommande de documenter la réalité des parents en situation de pauvreté et d'adopter des politiques permettant de répondre adéquatement à  leurs besoins.

  5. Le Conseil recommande au gouvernement du Québec, par le truchement du Secrétariat à  la condition féminine, du ministère du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale et du ministère de la Famille, d'organiser de vastes campagnes de sensibilisation auprès de la population afin de mieux faire connaître les modalités du Régime québécois d'assurance parentale, les avantages du partage des congés parentaux entre les conjoints et les bénéfices d'un tel programme pour l'ensemble de la population.

  6. Le Conseil recommande au ministère de la Santé et des Services sociaux, en collaboration avec le Secrétariat à  la condition féminine et le ministère de la Famille, de réviser les cours prénataux offerts aux parents afin d'offrir de l'information non stéréotypée sur le rôle de parent, les transformations des relations conjugales à  l'arrivée d'un premier enfant ainsi que sur le partage égalitaire des congés parentaux, du travail domestique, des soins aux enfants et des responsabilités parentales et des répercussions économiques de la prise des congés.

  7. Le Conseil recommande au ministère de la Santé et des Services sociaux, en collaboration avec le Secrétariat à  la condition féminine, le ministère de l'Éducation et le ministère de la Famille, d'inclure dans les cours prénataux une séance s'adressant spécifiquement aux hommes afin de faire la promotion des rapports égalitaires, du partage du travail domestique et familial, du partage des congés, de parler de paternité et de répondre à  leurs questions particulières.

  8. Le Conseil recommande à  l'Institut national de la santé publique (INSPQ) de revoir le contenu du guide « Mieux vivre avec notre enfant de la grossesse à  deux ans » afin de bonifier l'information sur les rôles parentaux, notamment en insistant sur l'importance du partage du travail domestique et familial, en présentant les rôles de chaque parent de manière non stéréotypée et en déplaçant la section sur la parentalité au début du guide.

Bibliographie

  1. Toutefois, même si cette approche est estimative et fondée sur des perceptions, l'Enquête sociale générale de Statistique Canada ayant recours à  la méthodologie de « budget-temps » (time diaries) est utilisée par de nombreux spécialistes qui lui reconnaissent une valeur comparative entre de vastes populations. « Dans une enquête de type "budget-temps", le répondant est invité à  énumérer de façon séquentielle toutes les activités réalisées au cours d'une période couvrant exactement 24 heures. Une telle approche laisse fort peu de latitude au répondant pour improviser de toutes pièces une journée fictive qui s'écarterait de la réalité de façon significative et réduit les risques de biais de rappel ou de désirabilité sociale. Statistique Canada répartit les entrevues sur les budgets-temps tout au long de l'année considérée, de manière à  assurer une couverture représentative de chacun des jours de la semaine » (Laroche 2010, p. 10).
  2. Conférence de Diane-Gabrielle Tremblay, Télé-Université du Québec (Téluq), 29 août 2013.
  3. Les coûts des services de garde suédois sont modulés en fonction du revenu des parents, mais demeurent abordables. Pour de plus amples renseignements, voir CSF (2014, p. 13).
  4. Données recueillies et présentées par Linda Haas de l'Université de l'Indiana lors du colloque du 40e anniversaire du comité de condition des femmes de la Centrale des syndicats du Québec, tenu à  l'Université Laval le 16 mai 2014. Voir aussi Tremblay (2012, p. 264-267).
  5. Le programme Pour une maternité sans danger relève de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST).
  6. Un minimum de 600 heures de travail rémunéré doit être accumulé pour qu'une personne soit admissible au programme.
  7. Le Conseil a publié un avis sur les services de garde à  la fin 2014, Impact d'une modulation de la contribution parentale aux services de garde subventionnés sur la participation des femmes au marché du travail.
  8. Le congé parental canadien verse des prestations hebdomadaires correspondant à  55 % du salaire, avec un plafond de 524 $ par semaine. Il y a une période de carence de deux semaines durant lesquelles aucune prestation n'est versée. Les parents peuvent partager 35 des 52 semaines. Toutes les provinces canadiennes sauf le Québec utilisent le régime fédéral pour les congés parentaux payés. Certaines provinces garantissent des congés non rémunérés aux mères, entre 15 et 17 semaines, et des congés parentaux sans salaire d'au plus 52 semaines.
  9. Le CGAP appelle « naissances-RQAP» les naissances donnant lieu à  des prestations du RQAP.
  10. Le régime fédéral ne prévoit pas de congé de paternité, il s'agit donc d'un congé parental pris par le père.
  11. Les échantillons des deux sondages sont d'environ 1 200 pères, partagés également entre ceux ayant pris un congé de paternité seulement et ceux ayant également eu recours à  un congé parental. Le rapport rendu publicen 2015 a été terminé par la firme Zins Beauchesne et associés en 2014.
  12. La désirabilité sociale se définit comme « l'adéquation connue des comportements observés ou anticipés d'une personne aux motivations ou aux affects réputés des membres typiques d'un collectif social » (Cambon 2006, p. 128). « Cette composante de la valeur renvoie à  la connaissance que les gens ont de ce qui est considéré comme désirable (c'est-à -dire chargé d'affects ou correspondant à  des motivations) dans une société (ou un groupe donné). La désirabilité sociale est donc à  distinguer théoriquement d'une désirabilité "individuelle" (Cambon 2006, p. 128). »
  13. La méthodologie utilisée dans cette enquête est décrite de façon plus détaillée à  l'annexe I. Un portrait des répondants est présenté à  l'annexe II.
  14. Les chiffres entre parenthèses renvoient au numéro d'entretien tel que présenté dans le tableau de l'annexe II.
  15. Les cotisations sont de 0,56 $ par tranche de 100 $ pour les salariés et les salariées, de 0,78 $ pour les employeurs et de 0,99 $ pour les travailleuses et travailleurs autonomes. Le RQAPa connu des déficits depuis sont instauration, à  cause d'un nombre plus élevé que prévu de demandes, mais l'équilibre budgétaire est prévu pour l'année 2017-2018.
  16. Données de Statistique Canada compilées par l'Institut de la statistique du Québec. Selon les données de Statistique Canada, les absences pour obligations familiales chez les parents d'enfants de moins de 5 ans sont de quatre jours pour les femmes et de deux jours pour les hommes (Statistique Canada, page consultée le 17 mars 2015c).
  17. En milliers de dollars, annuellement.