Les femmes dans la gouvernance des entreprises et dans les institutions démocratiques - Laurentides (2013)

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Les femmes dans la gouvernance des entreprises et dans les institutions démocratiques

En cette année d’élections dans les municipalités du Québec, il peut être intéressant de revoir et de discuter des raisons qui sont généralement invoquées pour expliquer le faible niveau de présence des femmes dans les instances et les obstacles auxquels elles font face pour accéder à des postes de pouvoir. Ce document présente ces raisons. L’essentiel du propos est extrait de deux avis du CSF (2010, 2002) concernant la place que les femmes occupent dans les instances démocratiques et comme administratrices des grandes entreprises. Le texte intégral de ces avis est disponible sur le site Internet du Conseil, au www.csf.gouv.qc.ca.

La place des femmes

Règle générale, malgré leur entrée massive sur le marché du travail, et malgré leurs bonnes performances scolaires, les femmes sont peu présentes dans les postes de pouvoir, qu’il s’agisse de postes politiques, administratifs ou de gestion. Des obstacles empêchent encore leur participation égalitaire à la vie publique.

Les causes de la sous-représentation des femmes au sommet… des entreprises

Une étude du Bureau international du travail (cité dans CSF, 2010 : p. 24) publiée en 2002, prouve que les femmes leaders rencontrent plus d’obstacles que les hommes lorsqu’elles tentent d’accéder au sommet. L’étude démontre, en outre, qu’à un niveau donné de la hiérarchie, les femmes sont systématiquement plus qualifiées que les hommes pour occuper le poste et que, bien qu’elles accèdent plus rapidement que ces derniers à des postes de gestion intermédiaire, elles ont ensuite beaucoup de difficulté à dépasser ce niveau.

Selon Rosabeth M. Kanter (cité dans CSF, 2010 : p. 27), les femmes qui sont isolées ou en situation minoritaire attirent, malgré elles, l’attention sur leurs différences et sont poussées à adopter des stratégies d’accommodation, c’est-à-dire à se conformer aux attentes, stéréotypées, du groupe dominant, plutôt qu’à suivre leur propre point de vue. En nombre plus important, lorsqu’elles parviennent à influencer la culture dominante, elles gagnent une liberté d’agir selon leurs forces, ce qui accroît leurs chances de succès.

Un autre type d’explication associe les problèmes d’avancement des femmes à des barrières individuelles ou à des carences liées à leur habileté, à leur personnalité, à leurs motivations et à leur attitude. Cette perspective suggère que la progression des femmes est entravée par leur faible capacité à utiliser des stratégies comme la création d’alliances, les manœuvres politiques ou la prise de risque (Briere et Rinfret, 2010, cité dans CSF, 2010 : p. 27). L’isolement ou le fait de n’entretenir aucun lien avec les réseaux d’affaires sont d’autres facteurs.

La difficulté de concilier les temps sociaux ou l’inégalité du partage des responsabilités familiales entre les femmes et les hommes font aussi partie des barrières individuelles. Les femmes interrompent leur carrière pour accoucher et pour avoir soin des jeunes enfants, travaillent à temps partiel pour s’occuper de leurs parents et de leurs beaux-parents vieillissants. Si les femmes sont les seules à demander des aménagements pour faciliter la conciliation travail-famille, elles seront désavantagées par rapport aux hommes puisqu’elles seront perçues comme moins dévouées qu’eux à leur travail.

Le désavantage qu’ont les femmes lorsqu’elles tentent de monter dans la hiérarchie serait en partie lié à l’accès inégal aux expériences qualifiantes. Elles sont moins nombreuses que les hommes à profiter du repérage de cadres à haut potentiel, de l’offre de soutien ou de l’octroi de responsabilités. Une récente enquête étasunienne (Ibarra, Carter et Silva, 2010; cité dans CSF, 2010 : p. 28) a démontré que les pratiques de mentorat seraient teintées de sexisme. Les femmes à haut potentiel seraient surprotégées et moins soutenues que leurs vis-à-vis masculins.

Les femmes, moins souvent que les hommes, se voient confier des responsabilités de coordination de projets multinationaux, reconnues comme un tremplin au sein des multinationales.

La gouvernance des entreprises

Place des femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises québécoises
Années Femmes au conseil (%)
Canada
Femmes au conseil (%)
Québec
Entreprises sans femmes au conseil (%)
Canada
Entreprises sans femmes au conseil (%)
Québec
1985 2,7 75,0
1986 3,4 69,0
1990 4,7 64,0
1992 5,5 57,2
1994 6,3 5,8 61,2 57,8
2008 15,8 28,0

Sources : L. Lauzon, Place des femmes à titre d’administratrices et d’officiers dans les grandes entreprises canadiennes pour l’année financière 1994 : SEDAR et rapports annuels des compagnies. Compilation du CSF.

Les causes de la sous-représentation des femmes au sommet… en politique

En matière de pouvoir politique, une analyse qui s’étend au-delà du strict environnement politique ou électoral (système politique et électoral, fonctionnement des partis) met en évidence que les femmes font face à des obstacles de nature psychologique, sociologique et économique. Ces traits ne s’appliquent évidemment pas à toutes les femmes, ni même de façon uniforme, mais ils demeurent des contraintes constantes.

Les obstacles sociologiques

Plusieurs femmes évoquent un environnement qu’elles perçoivent comme hostile. Le malaise est réel, mais difficile à préciser et à définir concrètement. On parle d’une culture masculine du pouvoir (réelle ou perçue), façonnée par la tradition et qui s’exprime, par exemple, par de la misogynie, le temps de parole accaparé par les hommes lors des réunions, le crédit accordé aux idées portées par les hommes. Les préjugés et stéréotypes à l’égard des femmes en politique ne seraient pas non plus complètement disparus.

Autre entrave à la participation politique des femmes : les opinions tranchées et les affrontements directs que suppose le débat politique seraient incompatibles avec la socialisation des femmes, qui les préparerait davantage à la recherche du consensus (CSF, 2002 : p.14).

Mentionnons également que le mouvement des femmes et les organisations qui le composent, ne forment pas un « réservoir courtisé » par les partis politiques, bien qu’ils recèlent un potentiel intéressant de candidates.

La désaffection à l’endroit de la politique et l’image négative de la classe politique auprès du public en général constitueraient aussi des freins à l’engagement d’un certain nombre de personnes, autant les femmes que les hommes. Est-il possible que les femmes soient plus sensibles et hésitantes face à cette ambiance déprimante et que cet aspect joue davantage sur leur motivation?

Enfin, le partage des tâches familiales et domestiques, encore inégalement assumé par les femmes et les hommes, constitue également un sérieux obstacle pour un grand nombre de femmes désirant s’impliquer.

Les obstacles psychologiques

Si on ne peut plus invoquer le manque de scolarité et l’absence d’expertise des femmes pour expliquer leur moindre implication politique, on remarque que leur progrès ne se traduit pas par une amélioration équivalente de leur condition de travail ou de leur présence dans les instances représentatives.

Plusieurs observatrices constatent l’existence, dans le monde politique, d’un plafond de verre semblable à celui remarqué dans le secteur des entreprises. Peut-on parler de fermeture plus ou moins consciente de la classe politique?

Aussi, on ne peut omettre d’analyser certains aspects qu’on dit liés aux femmes elles-mêmes. Ont-elles les mêmes attentes que les hommes face à la vie en général; ont-elles les mêmes attitudes devant l’affrontement et la concurrence, caractéristiques du monde politique? Des partis politiques, dans le monde entier, ont décelé un manque de motivation des femmes à s’engager en politique. De plus, les femmes doivent elles-mêmes se convaincre qu’elles possèdent les compétences pour accéder à toutes les hautes fonctions.

D’autre part, les plus jeunes générations, autant les femmes que les hommes, ont tendance à mettre de l’avant l’importance de leur qualité de vie et à placer en priorité la vie personnelle. On peut s’interroger sur l’impact qu’aura cette attitude sur leur implication politique et sociale.

Les obstacles socio-économiques

La situation socioprofessionnelle d’une personne a certainement un effet sur la possibilité de se porter candidate à un poste électif. L’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas atteinte en matière économique, particulièrement sur le plan de l’emploi. Et les femmes gagnent toujours, en moyenne, 79 % du salaire des hommes.

Les femmes et les hommes n’occupent pas les mêmes emplois. Les hommes occupent encore plus souvent, et en plus grand nombre, des postes qui les placent en meilleure situation pour faire valoir leur capacité à gouverner ou pour attirer l’attention des partis. Ce sont des emplois qui offrent, plus souvent, une plus grande souplesse dans les horaires, facilitant ainsi l’implication.

Mouvement des femmes et monde politique

Les témoignages des femmes engagées en politique dénotent une faiblesse des communications entre elles et le mouvement des femmes. Il y a également un manque de compréhension des possibilités réelles qu’ont les politiciennes pour influencer le cours des choses. En découlent des attentes irréalistes de la part des militantes féministes.

Les politiciennes constatent très souvent une distance, pour ne pas dire une méfiance, entre les détentrices du pouvoir et les « femmes de la base ». Il pourrait y avoir là un facteur supplémentaire qui explique la pénurie de femmes élues.

Lieux décisionnels et consultatifs

Présence des femmes dans les lieux décisionnels et consultatifs – Québec – 2011
Lieux Femmes Total Québec (%)
Assemblée nationale (septembre 2012) 41 125 32,8
Mairies 175 1102 15,9
Conseils municipaux 2018 6929 29,1
MRC (préfets) 12 89 13,5
Conférence régionale des élus (C.A.) 162 612 26,5
Centres locaux de développement 474 1544 30,7
Conseil régional des partenaires du marché du travail 125 345 36,2
Agences de santé et services sociaux 108 232 46,6
Centres de santé et de services sociaux 796 1641 48,5
Commissions scolaires 708 1432 49,4
Cégeps 379 864 43,9
Universités 104 255 40,8
Forums jeunesse 156 255 61,2
Fédération des Caisses populaires 53 222 23,9

Source : Conseil du statut de la femme et Table de concertation des forums jeunesse régionaux du Québec – Février 2012.

Lieux décisionnels et consultatifs – Laurentides – 2011

Présence des femmes dans les lieux décisionnels et consultatifs
Lieux Femmes Total Région (%)
Assemblée nationale (septembre 2012)1 2 9 22,2
Mairies 14 76 18,4
Conseils municipaux 152 480 31,7
MRC (préfets) 0 8 0,0
Conférence régionale des élus (C.A.) 10 44 22,7
Centres locaux de développement 34 132 25,8
Conseil régional des partenaires du marché du travail 11 23 47,8
Agences de santé et services sociaux 8 13 61,5
Centres de santé et de services sociaux 61 121 50,4
Commissions scolaires 51 109 46,8
Cégeps 13 37 38,2
Universités
Forums jeunesse 7 10 70,0
Fédération des Caisses populaires1 2 15 13,3

Source : Conseil du statut de la femme et Table de concertation des forums jeunesse régionaux du Québec – Février 2012.

Des avantages à viser l’équilibre dans la gouvernance

Les experts en management et en psychologie des administrations sont de plus en plus nombreux à préconiser la désignation de femmes aux postes de gouvernance et de direction des entreprises. Au nom de l’efficacité et de la justice sociale, il faudrait diversifier la composition des organes décisionnels en y faisant participer les femmes en plus grand nombre, et ce, pour profiter de la variété des points de vue et des expériences disponibles.

Une étude du Conference Board du Canada, (cité dans CSF, 2010 : p. 30), basée sur l’observation de 141 sociétés publiques et compagnies privées établies au Canada, a montré que les entreprises les plus avancées dans la féminisation de leur conseil d’administration sont plus rentables que les autres.

Plusieurs autres études (cités dans CSF, 2010 : p. 30-31) sont arrivées à la même conclusion. Fait à souligner : le lien observé entre la proportion de femmes dans les instances et la performance organisationnelle des entreprises n’est significatif que lorsque le nombre de femmes atteint la masse critique de trois.

En politique, le déficit persistant de la présence féminine dans les institutions démocratiques finit par jeter un discrédit sur les institutions elles-mêmes qui semblent incapables d’intégrer équitablement une des composantes de la société, soit sa moitié féminine.

Puis, bien qu’il existe un débat dans la littérature féministe, sur un éventuel potentiel de transformation des structures politiques par la participation des femmes (CSF, 2002 : p.19), on estime généralement que la présence des femmes dans les lieux de pouvoir contribue à faire en sorte que les problèmes liés à la condition féminine soient élevés au rang d’enjeux politiques.

Pouvons-nous cerner un mode de gestion ou de participation au pouvoir qui serait typiquement féminin et un autre qui serait typiquement masculin?

Il n’y a pas de résultats consensuels sur la question. Pour l’essentiel, les gestionnaires des deux sexes se comporteraient de la même façon. Cependant, deux psychologues américaines (EAGLY et CARLI, cités dans CSF, 2010 : p. 29) affirment que nier les différences équivaudrait à privilégier le style de gestion masculin, ce qui peut être paralysant pour les femmes. Les femmes leaders mettraient davantage l’accent sur les aspects transformationnels de la gestion, par le soutien et l’encouragement qu’elles accordent à leurs subalternes. Elles ont également plus tendance que les hommes à récompenser la performance.

En 1990, dans le Harvard Business Review, Judy Rosener (cité dans CSF, 2010 : p. 29) affirmait que les femmes leaders favorisent la participation, qu’elles sont rassembleuses et qu’elles partagent le pouvoir et l’information, contrairement aux hommes qui valorisent traditionnellement le style de gestion directif (command and control). Une enquête réalisée en 2008 par McKinsey (cité dans CSF, 2010 : p. 31) et visant plus de 9 000 gestionnaires présente des différences significatives entre les pratiques de leadership des femmes et celles des hommes. Selon l’enquête, les femmes leaders appliqueraient plus souvent que les hommes, cinq des neufs comportements associés aux leaders : le développement des autres, les attentes et la reconnaissance, l’exemplarité, l’inspiration et la prise de décision participative. Les hommes appliqueraient plus fréquemment que les femmes, deux comportements : la prise de décision individuelle ainsi que le contrôle et les actions correctrices. Par ailleurs, deux comportements sont également partagés entre les femmes et les hommes : la stimulation intellectuelle et la communication efficace.

Le choix d’un style de gestion s’avère plus problématique pour les femmes que pour les hommes. Celles-ci doivent concilier leur identité de femme et leur rôle de leader. Elles doivent développer un style avec lequel les hommes dirigeants seront à l’aise.

En matière de pouvoir politique, il n’y a pas d’unanimité sur la question de la différence de gouverne des femmes et des hommes.

Certaines recherches européennes et américaines (CSF, 2002 : p. 9) indiquent que les femmes sont plus susceptibles de soutenir les droits des femmes et d’appuyer des projets de loi visant à améliorer la santé, le bien-être social et les droits des consommateurs que leurs collègues masculins. Dans les pays scandinaves, on a noté dans les années 80 que les questions et les discours des femmes parlementaires portaient davantage sur la famille, l’environnement, la santé, l’habitation et les droits des consommateurs. Seules les femmes soulevaient des questions touchant la condition féminine.

Par contre, il y a aussi beaucoup de scepticisme chez les chercheuses, relativement aux études voulant que les femmes changent la politique. Le genre n’est pas le seul facteur qui anime les femmes : elles sont aussi membres d’un parti, appartiennent à des tendances idéologiques, des classes sociales et des régions.

Des études scandinaves indiquent qu’au cours des trente dernières années, on a vu les attitudes des femmes et des hommes concorder de plus en plus à mesure que la proportion d’élues progressait (CSF, 2002 : p. 9). Les femmes qui ont exercé le pouvoir à la tête de quelques pays n’ont pas non plus montré de différences notables tant dans leur style que dans leurs politiques. Comme nous l’avons vu plus haut, les femmes en situation minoritaire sont poussées à se conformer aux attentes du groupe dominant.

Une masse critique

On doit cependant se garder d’évaluer les femmes sur des bases différentes de celles qu’on applique aux hommes et d’exiger d’elles des qualités et des résultats plus élevés. Il faut se dégager du cercle vicieux qui enferme les femmes : ce n’est que par la présence des femmes, en une masse critique, que la culture masculine du pouvoir peut être modifiée et trop de femmes renoncent à franchir cette barrière pour attaquer et changer cette culture inhospitalière du pouvoir.

Pippa Norris, politologue et professeure à l’université de Harvard, estime que lorsque les femmes forment moins de 15 % d’une assemblée, quelle qu’elle soit, elles ne sont qu’une simple minorité; lorsque leur nombre atteint entre 15 et 40 %, leur poids est certain, et l’on ne peut les ignorer. Enfin, lorsqu’elles atteignent une proportion variant entre 40 et 60 %, l’équilibre est atteint. À partir de 40 % de présence, un groupe peut influencer l’ordre du jour (Norris, 1996, cité dans CSF, 2002 : p. 10).

Conclusion

Alors que, dans les grandes entreprises, la nomination des femmes aux conseils d’administration avance encore au pas de tortue, lentement, les femmes se frayent un chemin dans les lieux décisionnels. Les dernières élections au Québec et dans les autres provinces, avec l’arrivée de 6 premières ministres, auront-elles fracassé le plafond de verre? Ou ne remarquerons-nous que l’arbre qui cache la forêt?

Ce document est une invitation à discuter, encore, des obstacles que rencontrent les femmes sur la route du pouvoir, à mesurer le chemin parcouru et à soutenir le changement et l’évolution des attitudes. Une invitation également à soutenir l’avancée des femmes dans les postes de pouvoir, au nom de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la justice sociale.

Références

Conseil du statut de la femme (2012). Présence des femmes et des jeunes dans les lieux décisionnels et consultatifs : Laurentides, Québec, CSF, 4 p.

Conseil du statut de la femme (2012). Présence des femmes et des jeunes dans les lieux décisionnels et consultatifs : Compilation nationale – Québec, Québec, CSF, 4 p.

Conseil du statut de la femme (2010). La gouvernance des entreprises au Québec : où sont les femmes?, réd. Nathalie Roy, Québec, CSF, 103 p.

Conseil du statut de la femme (2002). Les femmes et les institutions démocratiques : pour une meilleure participation, réd. Lucie Desrochers, Québec, CSF, 155 p.

  1. Régions 14 et 15.