Le droit à l’avortement : 25 ans de reconnaissance officielle

Conseil du statut de la femme

La lutte pour le droit à l’avortement a été – et est toujours – l’une des grandes batailles du mouvement des femmes au Québec. Bien qu’il se trouve des gens pour dire que ce droit est maintenant chose acquise, dans les faits, les femmes qui décident de recourir à des services d’avortement doivent encore franchir plusieurs barrières : préjugés, manque d’information, données erronées, problèmes d’accessibilité, etc.

Et si on revoyait les moments phares et les grands enjeux de cette lutte?

Le début d’un temps nouveau

Si on associe volontiers le début du 20e siècle au combat des femmes pour le droit de vote, on peut incontestablement relier la fin du 20e siècle à leur lutte pour le droit à l’avortement.

Ponctuée d’avancées, de reculs, d’obstacles et de revendications, la véritable histoire de l’avortement au Québec commence dans les années 1960, à l’époque de grands bouleversements :

Nous sommes en pleine Révolution tranquille et la lutte pour le droit à l’avortement se cristallise alors autour de la question de la décriminalisation (avant 1969, tout avortement est passible d’emprisonnement à vie). L’avortement n’étant plus un crime, les femmes continueront à lutter :

Nous, Québécoises, voulons le contrôle de nos vies. Fini les avortements de boucherie
Slogan du Front commun pour l’abrogation des lois sur l’avortement, 1971

Les grandes dates de l’histoire de l’avortement, au Québec et au Canada

Le 19e siècle : Un acte criminel

1869 : Une loi criminalisant l’avortement est adoptée par le Parlement canadien. Procurer un avortement à une femme ou se faire avorter est passible d’emprisonnement à vie.

1892 : On va plus loin en criminalisant l’annonce ou la vente de produits contraceptifs ainsi que toute diffusion d’information sur l’avortement.

Les années 1960 : Décriminaliser pour stopper les avortements clandestins

1960 : Le gouvernement fédéral autorise la mise en marché de la première pilule contraceptive.

1962 : Bien que l’avortement soit illégal, le Bureau fédéral de la statistique indique que 57 617 admissions à l’hôpital sont dues aux complications liées à des auto-avortements ou à des avortements clandestins.

1966 : Les complications qu’entraîne un auto-avortement ou un avortement clandestin deviennent la principale cause d’hospitalisation des Canadiennes, avec plus de 45 000 admissions.

1967 : Le Québec est la première province au pays à financer une clinique, un centre et une association de planification des naissances. Cela malgré les restrictions législatives.

1969 : Le projet de loi C-150 est adopté à Ottawa. L’annonce ou la vente de produits contraceptifs deviennent légales. L’avortement est aussi permis, mais seulement si un comité composé de trois médecins juge que la vie ou la santé de la femme est en danger.

Les années 1970 : Le mouvement des femmes et la saga judiciaire de Morgentaler

1970 : Le Dr Henry Morgentaler ouvre une clinique d’avortement à Montréal, malgré le fait que cette pratique contrevienne aux dispositions du Code criminel.

1970 : Des centaines de femmes manifestent sur la colline du Parlement à Ottawa pour le droit à l’avortement. Elles seront nombreuses à faire de même à Montréal lors de la première manifestation québécoise en faveur du libre choix.

1976 : Arrêt des poursuites au Québec contre le Dr Morgentaler et contre les médecins qui pratiquent des avortements hors des seuls hôpitaux accrédités. L’avortement peut dorénavant se pratiquer en clinique.

Morgentaler : indissociable de la lutte pour le droit à l’avortement

Jumelé aux actions du mouvement féministe, le combat judiciaire du Dr Henry Morgentaler a joué un rôle de premier plan dans la libéralisation de l’avortement au Québec et au Canada.

Déterminé à permettre aux femmes voulant interrompre une grossesse non désirée d’avoir accès à des avortements pratiqués dans des conditions sécuritaires, le Dr Morgentaler offre ce service dans sa clinique de Montréal dès la fin des années 1960. Contrevenant ainsi à la loi, il fait face à une première poursuite du ministère de la Justice en 1973. Ce n’est qu’au terme de trois procès et autant d’acquittements par jury que le gouvernement du Québec met fin à toute procédure judiciaire contre lui.

Dans les années 1980, le Dr Morgentaler continue son combat pour le libre choix des femmes en ouvrant de nouvelles cliniques d’avortement dans d’autres provinces canadiennes. Il y sera poursuivi en justice et en appellera devant la Cour suprême du Canada, pour finalement obtenir gain de cause. Ses convictions et sa détermination auront contribué à libéraliser la pratique de l’avortement au pays.

Les années 1980 : Ottawa emboîte le pas à Québec et Chantale Daigle obtient gain de cause

1988 : Santé Canada décrète que l’avortement est une procédure médicale essentielle dont le financement doit être assuré par les programmes provinciaux d’assurance maladie.

1988 : La Cour suprême décriminalise l’avortement en invoquant la Charte canadienne des droits et libertés de la personne : « Forcer une femme, sous la menace de sanction criminelle, à mener le fœtus à terme (…) est une ingérence profonde à l’égard de son corps et donc une atteinte à la sécurité de sa personne. » Néanmoins, la Cour laisse la possibilité au législateur de restreindre ce droit, en vue de protéger le fœtus.

1989 : Jean-Guy Tremblay tente par la voie des tribunaux d’interdire à son ex-copine, Chantale Daigle, de se faire avorter. La Cour donnera raison à Chantale Daigle : « Le fœtus n’est pas compris dans les termes "être humain" employés dans la Charte québécoise. »

Les années 2000 : Un droit remis en cause

2008 : Le projet de loi fédéral C-484, un projet de loi privé1 intitulé « Loi sur les enfants non encore nés victimes d’actes criminels », est adopté en Chambre en seconde lecture. Il sera finalement rejeté, mais suivi par plusieurs autres projets de loi privés et motions, dont la motion Woodworth en 2012, visant l’étude par un comité parlementaire des droits du fœtus. Bien que huit membres du cabinet conservateur aient voté en sa faveur, celle-ci sera également rejetée par le Parlement.

Tous les pays européens ont choisi de baliser la pratique de l’avortement après un certain nombre de semaines. C’est le cas des Pays-Bas, où le délai prescrit est de 24 semaines. Selon les pays, au-delà de 10 à 24 semaines de grossesse, ce sont des médecins qui décident si une femme peut se faire avorter ou non en fonction de critères sociaux et médicaux, dont une malformation du fœtus.

Le Canada est le seul pays occidental où il n’y a pas de lois qui limitent ou encadrent les avortements tardifs. Il faut toutefois savoir que ces avortements sont très rares chez nous. Selon des études menées en 2010, les avortements après 20 semaines de grossesse représentent moins de 1 % des avortements au Québec, soit environ une centaine de cas.

Anti-choix, pro-vie, pro-choix… Qu’en est-il exactement?

Il est parfois difficile de s’y retrouver parmi toutes ces appellations. Voici quelques précisions utiles.

Pro-choix ne signifie pas pro-avortement

Les groupes pro-choix ne tentent pas de banaliser l’avortement. Ils s’opposent au fait d’obliger une femme à mener sa grossesse à terme, tout autant qu’à celui de contraindre une femme à avorter contre son gré. Pro-choix signifie simplement être en faveur de laisser aux femmes le droit de choisir par elles-mêmes.

Pro-vie ou anti-choix : le droit des fœtus avant celui des femmes

Ceux qui se sont baptisés les pro-vie, et que les pro-choix appellent les anti-choix, s’opposent à l’avortement et à la liberté des femmes de choisir par elles-mêmes. Pour eux, la vie humaine commence à la conception.

Bien qu’aux États-Unis les groupes anti-choix aient recours à la violence (des médecins pratiquant l’avortement ont été tués et le nombre d’attentats à la bombe visant des cliniques d’avortement dépasse la centaine), au Québec et au Canada, le mouvement est plus modéré, mais non moins actif.

Au Canada, onze hôpitaux redirigeraient directement les demandes d’information sur l’avortement vers des organismes anti-choix, selon une étude de l’Association canadienne pour la liberté de choix (ACLC).

On compterait actuellement 27 centres anti-choix au Québec, selon l’ACLC. Des centres qui n’afficheraient pas toujours clairement leur orientation et qui diffuseraient un message anti-avortement aux femmes recourant à leurs services de consultation. Selon l’ACLC, on irait même jusqu’à propager de fausses informations, comme celle voulant que l’avortement risque de causer le cancer du sein.

Des mythes2 qui ont la vie dure!

Il se dit beaucoup de choses sur l’avortement, qui ne sont pas toutes vraies.

Mythe : La détresse psychologique guette toute femme qui se fait avorter.

Réalité : Une majorité de femmes vit très bien avec ce choix réfléchi. Par ailleurs, mener une grossesse non désirée à terme, que ce soit en plaçant l’enfant en adoption ou en l’élevant dans des conditions difficiles, peut aussi entraîner une détresse psychologique, chez la mère comme chez l’enfant.

Mythe : Celles qui tombent enceintes involontairement n’avaient qu’à utiliser des contraceptifs. Elles ont ce qu’elles méritent.

Réalité : Il n’est pas rare que l’usage incorrect d’un contraceptif ou l’échec du contraceptif utilisé adéquatement mènent à une grossesse non désirée. Car aucun contraceptif n’est sûr à 100 %. Aussi, il est bon de se rappeler que le fait de voir la grossesse comme une punition perpétue des mentalités rétrogrades qui rendent coupables les femmes en leur faisant porter seules la responsabilité de la contraception.

Mythe : L’avortement endommage de façon irrémédiable le col de l’utérus et la matrice utérine de la femme.

Réalité : L’avortement de premier trimestre est aujourd’hui un acte médical simple et tout à fait sécuritaire. Dans les cas exceptionnels où il y a complication, celle-ci est essentiellement liée à une infection bénigne et facile à soigner. Par ailleurs, un avortement ne compromet en rien une future grossesse.

Mythe : Plus l’accès à l’avortement est facile, plus le nombre d’interruptions de grossesse est élevé.

Réalité : L’histoire, tout autant que la situation actuelle d’autres pays, nous indique que l’accès aux services d’avortement ne constitue en rien un incitatif pour les femmes à se faire avorter. À preuve, c’est dans les Pays-Bas, où les services d’interruption de grossesse sont parmi les plus accessibles, qu’on enregistre le plus faible taux d’avortements au monde.

À l’Île-du-Prince-Édouard, il n’existe aucun service d’avortement. C’est d’ailleurs la seule province canadienne à ne pas fournir ce service. Dans la province voisine, le Nouveau-Brunswick, les politiques en matière d’avortement demeurent les plus contraignantes au pays. Toute femme souhaitant recourir à l’avortement doit entre autres obtenir au préalable l’autorisation de deux médecins, ce qui constitue une transgression de la Loi canadienne sur la santé et du jugement de la Cour suprême.

Mythe : Le droit à l’avortement a engendré le déclin de la population.

Réalité : Une femme ne devrait jamais se sentir contrainte d’avoir un enfant simplement pour faire obstacle au déclin de la population. De plus, en 2006 et 2007, le nombre d’avortements au Québec n’a pas diminué de façon marquée, alors qu’on a assisté à ce qu’on a appelé un « mini baby-boom ». L’accès à l’avortement a donc bien peu d’incidence sur le taux de natalité.

Mythe : Après un avortement, le risque de développer un cancer du sein est accru.

Réalité : Les risques de cancer du sein associés à l’avortement sont nuls, recherches scientifiques rigoureuses à l’appui. Cette fausse donnée est véhiculée par les groupes anti-choix afin de décourager les femmes dans le difficile choix d’avorter.

Pourquoi des femmes en viennent-elles à se faire avorter?

L’avortement demeure, pour les femmes, un moyen de contrôle sur leurs conditions de vie. Voici diverses réalités qui peuvent mener une femme à choisir d’interrompre une grossesse.

Les femmes sont fertiles pendant près de 40 ans en moyenne.
Les femmes peuvent tomber enceintes à partir de l’âge de 12 ans et jusqu’à 52 ans, environ. Ce qui fait plus de 400 ovulations dans la vie d’une seule femme. Le risque de vivre une grossesse non désirée est donc très grand.

Le moyen de contraception sûr à 100 % n’a pas encore été inventé.
Aucune méthode contraceptive actuellement sur le marché ne peut garantir une efficacité absolue. De plus, la plupart des femmes et des hommes n’ont pas un accès gratuit aux contraceptifs, et bon nombre de personnes n’ont pas les moyens financiers de s’en procurer.

Plusieurs femmes vivent dans la pauvreté, sont étudiantes ou vivent seules.
La majorité des femmes qui décident d’interrompre une grossesse se trouvent dans l’une de ces situations. Elles ne souhaitent pas vivre plus pauvrement, ni dans l’isolement, pas plus qu’elles ne veulent renoncer à des études qui leur offrent la possibilité de trouver un emploi mieux rémunéré.

Dans le présent contexte socio-économique, il n’est pas facile de faire le choix d’avoir plusieurs enfants.
Nous avons au Québec en moyenne moins de deux enfants par famille. Composant, entre autres, avec des défis professionnels et des difficultés à concilier travail et famille, plusieurs mères décident d’espacer ou de réduire le nombre de leurs grossesses.

Quand l’avortement est illégal : femmes en danger!

Depuis toujours, les femmes de toute culture se font avorter ou pratiquent l’auto-avortement. Elles prennent cette décision difficile parce qu’elles ont évalué ne pas être en mesure de prendre soin d’un enfant à ce moment précis de leur vie. Elles interrompront donc leur grossesse, peu importe les lois en vigueur et la moralité, peu importe même les risques pour leur santé ou leur vie.

Plus le droit à l’avortement est restreint, plus il est pratiqué dans la clandestinité et plus les femmes meurent des suites d’un avortement.

Interdire l’avortement met assurément la santé et la vie des femmes en danger. Mais interdire l’avortement ne dissuadera jamais les femmes d’y avoir recours.

Chaque année, dans le monde :

Accessible, l’avortement, en 2013? État de la situation actuelle au Québec

Dans les régions du Québec, les femmes n'ont pas toujours accès à des services d'avortement. Ce n’est pas le seul problème. L’avortement doit être appuyé par des services complémentaires, pour permettre aux femmes de faire des choix éclairés en matière de planification des naissances. Or, on a aboli des écoles les programmes d’éducation sexuelle, et les services de régulation des naissances et de contraception sont aujourd’hui déficients. À ce sujet, le Conseil du statut de la femme recommande le retour d’une éducation sexuelle, et ce, dès le primaire, afin de sensibiliser les jeunes, les filles tout autant que les garçons, aux pratiques sécuritaires et à la contraception.

Une lutte à finir

Non, le droit à l’avortement n’est pas chose parfaitement acquise. Les pressions exercées par les groupes anti-choix pour réduire l’accès à ce service et le recriminaliser indiquent que nous devrons lutter encore. Pour le retour d’une éducation sexuelle. Pour la pleine accessibilité à des moyens contraceptifs, pour les hommes comme pour les femmes. Pour des services d’avortement universels, gratuits et sécuritaires.

Voilà des conditions essentielles au libre choix des femmes.

Les pages intérieures de l’original de ce document sont imprimées sur du papier entièrement recyclé, fabriqué au Québec, contenant 100 % de fibres postconsommation et produit sans chlore élémentaire¸

  1. Un projet de loi privé est présenté par un député et non par le gouvernement. Il est rare qu’un tel projet traverse tout le processus législatif et devienne une loi.

  2. Source consultée : ASSOCIATION CANADIENNE POUR LA LIBERTÉ DE CHOIX. L’avortement : mythes les plus répandus, [En ligne], http://www.canadiansforchoice.ca/francais/Myth_brochure_Francais.pdf (consulté le 12 novembre 2012).