La crise économique provoquée par la pandémie de COVID-19 a affecté davantage les emplois des femmes. Dès le départ, les pertes d’emplois ont été plus brutales pour elles, leur rattrapage plus lent après la première vague et elles ont été nombreuses à s’être retirées du marché du travail. Mais qu’en est-il de leurs salaires?
Publié le 17 Mars 2021
Pour visualiser les tableaux 1, 2 et 3, consultez cet article sur un écran d’ordinateur.
Selon les données de l’Enquête sur la population active (EPA), l’écart entre le salaire horaire moyen des femmes et des hommes s’amenuise au Québec entre 2019 et 2020, passant de 10,1 % à 8,1 %. La différence est encore plus marquée si on prend en compte le salaire médian : l’écart fléchit de 11,0 % à 6,3 %, soit une diminution de 4,7 points.
Cette tendance représente-t-elle une amélioration du sort des femmes sur le marché du travail? Un examen attentif de divers facteurs économiques et sociaux permet de fournir des éléments de réponse à cette question.
En 2020, les Québécoises gagnent en moyenne 26,98 $ l’heure, comparativement à 29,36 $ pour les Québécois, une différence de 2,38 $, soit une proportion de 8,1 % calculée sur la base du salaire des hommes ou de 8,8 % sur la base du salaire des femmes. L’écart entre leur salaire hebdomadaire moyen est encore plus prononcé, atteignant 16,7 %.
Au cours des 20 dernières années, l’écart entre la rémunération horaire moyenne des femmes et celle des hommes a suivi une tendance à la baisse. Il est passé de 16,6 % en 1999 à 10,1 % en 2019. La tendance s’est accélérée en 2020, l’écart se chiffrant à 8,1 % (Figure 1).
Cette chute constatée en 2020 ne s’est toutefois pas produite de façon uniforme, puisque des variations notables s’observent selon les secteurs économiques. Par exemple, les plus récentes données de Statistique Canada indiquent que la réduction de l’écart salarial a été plus prononcée dans le secteur de la production de biens, où il est traditionnellement très élevé : de 18,5 % en 2019, il baisse à 11,9 % en 2020. Inversement, l’écart salarial n’a diminué que de 0,9 point dans le secteur des services, qui a été particulièrement touché par la pandémie, passant de 7,5 % à 6,6 %.
D’entrée de jeu, les « primes COVID-19 » accordées au personnel des services essentiels ainsi que les traitements majorés sur les heures supplémentaires dans le secteur de la santé, où les femmes se trouvent en grand nombre, n’ont pu contribuer à la réduction de l’écart salarial entre les femmes et les hommes.
De fait, comme le précise le Guide de l’Enquête sur la population active, les salaires ou traitements pris en compte se rapportent aux heures régulières rémunérées ou définies par contrat, exclusion faite des heures supplémentaires et des primes spéciales. À quoi peut-on alors attribuer cette réduction?
Les pertes d’emplois en 2020 ont été plus lourdes pour les femmes que pour les hommes : des 208 500 emplois perdus au Québec, 54 % étaient occupés par des femmes et 46 % par des hommes. Selon l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) dans son récent État du marché du travail, ces pertes se sont concentrées dans les emplois à bas salaires : environ 83 % des emplois perdus étaient rémunérés moins de 15 $ l’heure, et ceux-ci étaient occupés par des femmes dans 66 % des cas (Tableau 1). Il est ainsi possible de croire que les pertes d’emplois ont affecté davantage non seulement le personnel ayant moins d’ancienneté, mais aussi celui occupant des fonctions situées au bas des organisations, souvent des femmes.
Salaire horaire | Femmes (n) | Hommes (n) |
---|---|---|
Moins de 15,00 $ | – 114 700 | – 59 000 |
De 15,00 $ à 19,99 $ | – 68 600 | – 31 400 |
De 20,00 $ à 29,99 $ | + 16 800 | – 22 100 |
30,00 $ et plus | + 67 200 | + 37 800 |
Source : ISQ, 2021.
Ainsi, au quatrième trimestre de 2020, le taux de chômage s’établissait à 6,2 % chez les femmes et à 8,2 % chez les hommes, soit respectivement 1,5 et 2,4 points de pourcentage de plus qu’au même trimestre de 2019. La hausse du taux de chômage a été plus faible chez les premières, puisque 59 200 d’entre elles ont quitté le marché du travail.
Une analyse de l’ISQ met d’ailleurs en évidence l’ampleur de ces retraits des femmes de la population active, plus marquée au Québec que dans l’ensemble du Canada. Dans un article publié en décembre 2020, le Conseil du statut de la femme fait état de ce phénomène qui pourrait être lié à l’accroissement des responsabilités familiales en contexte de pandémie, une hypothèse soulevée également par l’Observatoire québécois des inégalités.
Or, dans le déroulement de l’Enquête sur la population active, les personnes ayant déclaré ne pas avoir travaillé durant les semaines de référence sont exclues du bloc de questions sur les salaires. Les femmes faiblement rémunérées dans les années précédentes qui ont, en 2020, perdu leur emploi ou quitté le marché du travail ont donc été exclues des questions sur le salaire. Par conséquent, la diminution de l’écart salarial entre les femmes et les hommes, observable entre 2019 et 2020, s’expliquerait en partie par la mise à l’écart du marché du travail d’un bassin de femmes faiblement rémunérées.
Parallèlement aux pertes d’emplois plus lourdes chez les femmes à bas salaires et au départ de plusieurs d’entre elles du marché du travail s’observe une augmentation du nombre d’emplois hautement rémunérés, laquelle est plus marquée chez les femmes. De fait, les femmes ont enregistré un gain de 67 200 emplois rémunérés 30,00 $ et plus l’heure, comparativement à 37 800 chez les hommes (Tableau 1).
Les données montrent d’ailleurs que leur présence dans certains secteurs d’activité mieux rémunérés a augmenté entre 2019 et 2020. C’est notamment le cas dans les services professionnels, scientifiques et techniques (14 500 travailleuses de plus, soit + 10,6 %) et le secteur de la finance et des assurances (8 000 travailleuses de plus, soit + 7,9 %) (Tableau 2). Même si le nombre de femmes y est trop faible pour avoir un effet significatif sur l’écart salarial, le secteur de la construction a accueilli, en 2020, 5 100 nouvelles femmes, ce qui représente une hausse de 17,6 % par rapport à l’année précédente.
Secteurs d’activité | Femmes | Hommes | ||
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Emplois (n) | Salaire horaire moyen ($) | Emplois (n) | Salaire horaire moyen ($) | |
Total, toutes les industries | – 113 100 | 26,98 | – 95 400 | 29,36 |
Secteur de la production de biens | – 9 000 | 26,74 | – 29 900 | 30,34 |
Secteur des services | – 104 100 | 27,00 | – 65 600 | 28,91 |
Services professionnels, scientifiques et techniques | + 14 500 | 32,03 | – 19 100 | 38,57 |
Finance et assurance | + 8 000 | 30,27 | + 4 500 | 36,88 |
Services d’hébergement et de restauration | – 36 000 | 16,12 | – 27 800 | 17,52 |
Commerce de gros et de détail | – 27 500 | 19,73 | + 6 700 | 22,17 |
Services aux entreprises, services relatifs aux bâtiments et autres services de soutien | – 19 500 | 21,21 | + 2 700 | 22,54 |
Information, culture et loisirs | – 10 100 | 27,10 | – 4 200 | 31,10 |
Source : Statistique Canada, page consultée le 8 mars 2021a et page consultée le 8 mars 2021c.
Au surplus, les données de l’EPA montrent que la main-d’œuvre féminine s’est accrue dans des catégories professionnelles bien rémunérées, telles que le personnel professionnel en gestion des affaires et en finance (+ 19 100 emplois ou + 21,3 % du nombre de femmes dans la catégorie en 2019), les professions des sciences naturelles et appliquées et domaines apparentés (+ 11 400 emplois ou + 13,6 %) et les postes de cadres intermédiaires spécialisées (+ 8 100 emplois ou + 13,4 %). Dans ces catégories professionnelles, le nombre de femmes a d’ailleurs augmenté davantage que celui des hommes (Tableau 3).
Catégories professionnelles | Femmes | Hommes | ||
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Emplois (n) | Salaire horaire moyen ($) | Emplois (n) | Salaire horaire moyen ($) | |
Gestion | – 4 800 | 41,54 | – 4 700 | 46,66 |
Cadres intermédiaires spécialisé·e·s | + 8 100 | 44,67 | + 2 300 | 52,76 |
Cadres intermédiaires de commerce de détail, de gros et de service à la clientèle | – 10 900 | 31,05 | – 7 600 | 36,07 |
Affaires, finances et administration | + 6 500 | 27,12 | + 14 100 | 30,06 |
Personnel professionnel en gestion des affaires et en finance | + 19 100 | 35,52 | – 400 | 37,53 |
Personnel de soutien de bureau | – 400 | 22,90 | – 1 100 | 21,45 |
Sciences naturelles et appliquées et domaines apparentés | + 11 400 | 34,35 | + 4 900 | 37,57 |
Secteur de la santé | – 4 600 | 29,24 | – 5 200 | 31,43 |
Art, culture, sports et loisirs | – 4 000 | 25,59 | – 3 600 | 27,47 |
Personnel professionnel des arts et de la culture | + 2 500 | 30,90 | + 1 400 | 30,38 |
Personnel technique des arts, de la culture, des sports et des loisirs | – 6 500 | 22,90 | – 4 900 | 26,09 |
Vente et services | – 98 200 | 17,49 | – 32 400 | 19,20 |
Personnel de soutien en service et autre personnel de service | – 15 300 | 16,18 | – 7 000 | 18,13 |
Métiers, transport, machinerie et domaines apparentés | – 4 600 | 23,31 | – 51 800 | 27,03 |
Fabrication et services d’utilité publique | – 10 100 | 19,52 | – 9 800 | 24,56 |
Source : Statistique Canada, page consultée le 8 mars 2021b et page consultée le 8 mars 2021d.
Ces fluctuations d’emplois entre 2019 et 2020 semblent avoir profité tout particulièrement aux femmes, puisque leur présence s’est accrue dans les secteurs d’activité et les catégories professionnelles associés à de meilleurs salaires. Elles ont ainsi probablement joué un rôle dans la diminution de l’écart salarial entre les femmes et les hommes.
En 2020, le salaire moyen des femmes a progressé plus rapidement que celui des hommes, ce qui s’est traduit par une baisse de l’écart salarial entre les sexes. Les données générales masquent toutefois des différences substantielles selon les secteurs économiques, de sorte que les femmes n’en sortent pas toutes gagnantes.
De plus, la réduction de l’écart salarial est due en partie au retrait du marché du travail de nombreuses femmes, particulièrement de celles ayant de bas salaires. Elle s’explique néanmoins aussi par un déplacement de la main-d’œuvre féminine, de secteurs d’emplois et de catégories professionnelles souvent associés à de bas salaires vers d’autres généralement plus rémunérateurs. Reste à voir si de tels changements sont temporaires ou s’ils survivront à la pandémie.
Produite par Statistique Canada, l’Enquête sur la population active – à participation obligatoire – est réalisée chaque mois auprès d’un échantillon de 50 000 ménages canadiens (dont 10 000 au Québec). Les renseignements sont recueillis par autodéclaration auprès de tous les membres civils du ménage âgés de 15 ans et plus. Sont exclus du champ de l’enquête les personnes qui vivent dans les réserves et dans d’autres peuplements autochtones des provinces, les membres à temps plein des Forces armées canadiennes et les pensionnaires d’établissements institutionnels.
Depuis janvier 1997, des renseignements sont recueillis sur le salaire ou traitement habituel du personnel salarié à son emploi principal, soit celui auquel est consacré le plus grand nombre d’heures de travail dans le cas où plus d’un emploi est occupé. Les données sur le salaire excluent donc le travail autonome. Les personnes participant à l’enquête doivent déclarer leur salaire ou traitement, y compris les pourboires, les commissions et les primes (à l’exception des primes spéciales comme les « primes COVID »), avant impôt et autres déductions. Les salaires ou traitements hebdomadaires ou horaires sont calculés conjointement avec les heures de travail par semaine habituellement payées.
Lire aussi : Reprise de l’emploi chez les femmes : une trêve entre deux vagues?
Ce contenu a été préparé par Marie-Hélène Provençal et Mélanie Julien du Conseil du statut de la femme.